Dissolution : la grande trouille des patrons

Après cette folle semaine, les milieux économiques restent volontairement discrets.
Jordan Bardella s’adresse en mars à des patrons lors d’un débat organisé par Confédération des petites et moyennes entreprises.
Jordan Bardella s’adresse en mars à des patrons lors d’un débat organisé par Confédération des petites et moyennes entreprises. (Crédits : © LTD / BERTRAND GUAY/AFP)

La sidération a laissé la place à l'embarras. Une semaine après la dissolution, les milieux économiques regardent avec effroi le cours de la Bourse s'effondrer, les marchés s'affoler, le « spread », - l'écart entre les taux d'emprunt français et allemands - se creuser. Et découvrent, avec inquiétude, les premiers éléments de programme du Rassemblement national ou du Nouveau Front populaire. Les qualificatifs fusent : « dangereux », « dispendieux », « irréalistes »...

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Mais ces mots ne sortent pas des conclaves patronaux. Aux sollicitations de La Tribune Dimanche, les chefs d'entreprise répondent : « Les patrons n'ont pas vocation à entrer dans le débat politique. » Ou encore : « Que dire quand 40 % de nos salariés ou de nos clients votent aux extrêmes ? »

Selon eux, tout commentaire est malvenu, voire contre-productif. « On nous déteste, surtout les grands patrons... alors si on parle, on prend le risque de faire monter encore le RN ou le front de gauche », assure l'un d'eux. « Donner des consignes de vote ? Mais, c'est la meilleure façon de crisper encore les électeurs », plaide un autre.

Grande retenue

Contre-productif, c'est aussi l'argument que l'U2P, organisation qui réunit les artisans et petits entrepreneurs, a avancé lundi dernier quand l'idée d'une expression commune a germé dans les rangs patronaux. Au lendemain des européennes, pour dénoncer le péril que représenterait une majorité détenue le 8 juillet prochain par le camp du RN, les états-majors du Medef et de la CPME ont tenté d'écrire, ensemble, une déclaration. Mais l'initiative a vite fait pschitt.

Chacun s'en est donc tenu à un communiqué séparé, teinté d'une grande retenue. Patrick Martin (Medef) s'est limité à insister sur « la nécessité de poursuivre les réformes pour les consolider et les approfondir » en s'inscrivant fortement « dans le jeu européen ». Et d'ajouter que l'organisation patronale « soutiendra les projets favorables aux réformes économiques et à l'ambition européenne dans le respect de la démocratie sociale ». Soit une véritable rupture, quand il y a encore dix ans Laurence Parisot alertait sur le risque pour les entreprises de la montée de l'extrême droite. En 2011, la patronne des patrons désignait son ennemie, Marine Le Pen, dans un livre intitulé Un piège bleu Marine.

Les milliards d'euros d'aides déversés

Agacé par la prudence patronale actuelle, Bruno Le Maire a pourtant exhorté à plusieurs reprises cette semaine les chefs d'entreprise à se positionner. « Que les milieux économiques se mouillent ! » a lancé le ministre de l'Économie mardi sur les ondes. Le lendemain, il a rappelé aux 200 patrons du mouvement Ethic tout ce que le macronisme a fait pour eux : les ordonnances travail, la loi Pacte pour libérer l'économie, les aides à la réindustrialisation, la loi « économie verte » pour faciliter les installations d'usines, la baisse de l'impôt sur les sociétés, les nombreuses réformes de l'assurance chômage, la réforme des retraites qu'ils appelaient de leurs vœux, les sommets Choose France pour attirer des investisseurs étrangers, les primes défiscalisées pour soutenir le pouvoir d'achat de leurs salariés, les coups de pouce pour l'embauche des apprentis...

Sans oublier les milliards d'euros d'aides déversés aux entreprises au moment du Covid, les exonérations fiscales, sociales et les chèques envoyés quand les Gilets jaunes demandaient des hausses de salaires, les guichets de soutien quand les prix de l'énergie flambaient, après le déclenchement de la guerre en Ukraine...

Un désaveu violent pour la Macronie

La liste est longue, mais rien n'y fait. Les applaudissements restent clairsemés. Pour se justifier, les chefs d'entreprise invoquent le pragmatisme. « On n'est pas dans le sentiment ou la morale, on a des boîtes à faire tourner, des emplois à préserver, des actionnaires à satisfaire ; notre boulot est de nous adapter », résume un important industriel.

Bien que très préoccupée par la situation, l'Afep, l'Association française des entreprises privées, qui réunit presque tout le CAC 40, peine à sortir de son mutisme : « L'essentiel de l'activité des entreprises adhérentes se fait hors de France. À quoi bon s'exposer alors que l'Hexagone représente à peine 5 ou 10 % du chiffre d'affaires ? » En prise toutefois à des discussions internes, l'association, qui comprend des poids lourds comme Patrick Pouyanné (TotalEnergies) ou Bernard Arnault (LVMH), envisage toutefois de s'exprimer cette semaine.

Le ras-le-bol des normes

En attendant, pour la Macronie, le désaveu est violent. « Les patrons sont des lâches qui font preuve d'une grande ingratitude, fulmine un ministre. Souvenez-vous : en Allemagne, en 1940, de quel côté étaient les chefs d'entreprise ? » Restent que les patrons, eux, ne se sentent pas tenus par un quelconque contrat. « Depuis deux ans, ce pouvoir ne nous entend pas, plaide un membre du Medef. La suppression des impôts de production a été décalée, la réforme de l'assurance chômage élargit le bonus-malus pénalisant pour les entreprises, la suppression de la niche fiscale Pinel "flingue" le secteur de la construction... »

Sans compter que certains ne sont pas insensibles aux théories du RN : le ras-le-bol des normes imposées par Bruxelles, l'immigration, la préférence nationale pour le travail, la sécurité... Les petits patrons sont d'autant plus à l'écoute que ces derniers mois les équipes du RN les ont approchés afin de les rassurer : oui, la sortie de l'euro est bel et bien enterrée, l'abrogation de la réforme des retraites oubliée, l'impôt sur les superprofits abandonné...

L'exemple de l'Italie

Et l'extrême droite bénéficie de l'effet repoussoir qu'exerce la gauche sur les milieux d'affaires. « Le pire pour l'économie française, ce serait Mélenchon et La France insoumise, s'alarme un grand patron. On ne résistera pas à leur haine du capitalisme, à leur volonté de nous spolier. » La preuve en est, vendredi, Patrick Martin ne perdait pas une seconde pour réagir à la publication du programme du Nouveau Front populaire : « L'irrationalité des mesures si elles étaient mises en œuvre conduirait à une explosion des déficits et de la dette. »

À côté, vu des patrons, le programme du RN en devient presque rassurant. « Sans compter qu'il est un argument désormais bien installé dans les milieux patronaux : l'exemple de l'Italie, où Giorgia Meloni a modéré son programme économique une fois au pouvoir », explique Stéphane Boujnah, directeur général d'Euronext, plateforme qui gère les Bourses de Paris, Milan, Amsterdam, Bruxelles... Rare dirigeant à s'exprimer, il s'insurge : « Mais, en réalité, le RN, lui, a un projet économique différent, radical, et dangereux. » Pour mener son opération séduction auprès des cercles d'affaires, la Première ministre d'extrême droite italienne a bénéficié de l'entremise de l'ancien banquier central Mario Draghi. Reste à savoir qui en France joue aujourd'hui ce rôle.

Commentaires 23
à écrit le 20/06/2024 à 11:13
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il y belle lurette que l' on est sous tutelle .ont fait parti une génération ouvrière 44 année de carrière toute les emplois cassée par nos dirigeants .plus de profit

à écrit le 18/06/2024 à 7:55
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"Tout est bruit pour celui qui a peur" Sophocle

à écrit le 17/06/2024 à 18:38
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"trouille " pas vraiment du langage soutenu , qu'un élève emploie ce mot à l'écrit ou à l'oral et il se fera reprendre !!!

à écrit le 16/06/2024 à 19:33
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Je ne comprend toujours pas mes compatriotes qui débattent des annonces faites par les partis politiques avant élections, tout le monde sait que ce ne sont que des promesses et arguments de ventes ! La seule constance dans ce spectacle lamentable de ...

à écrit le 16/06/2024 à 18:48
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Au moins, ils sont honnêtes: ils ont tout reçu (aides financières etc) et une fois le tout pris, pourquoi devraient-ils remercier l'état et les contribuables ?

à écrit le 16/06/2024 à 15:28
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"Dissolution : la grande trouille des patrons" Vraiment? Aucun candidat n'a indiqué vouloir imposer le paiement des fournisseurs *français* au comptant tandis que les grandes entreprises notamment publiques mettent en difficulté l'ensemble de...

le 17/06/2024 à 11:35
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Oui les patrons sont inquiets. Augmenter le smic de 15 % et indexer les salaires sur les prix vont avoir une incidence sur leur compétitivité.

à écrit le 16/06/2024 à 12:24
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Les entreprises françaises ont des clients et des employés de tous bords politiques. Il n’est pas vraiment dans leur intérêt de soulever des questions polarisantes et d’encourager les conflits politiques.  Comme dit dans l’article, elles ne sont pas ...

à écrit le 16/06/2024 à 10:50
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Oh, ces pauvres grands patrons d'entreprises, dont le titre est coté et qui ont désormais achevé leur mue en grands argentiers en jouant à fond le jeu de la financiarisation, sont entrés en catalepsie. Et pour cause! Leur posture de "shareholder valu...

à écrit le 16/06/2024 à 10:40
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Arrêtez de rêver avec votre RN : il ne se passera RIEN comme en Italie ! Asselineau avait prévenu dès le départ : la mussolini en jupon jurait allégeance à l'UE, l'€ et l'OTAN dans son programme - la messe était dite ! Il n'y a pas de liberté dans la...

le 16/06/2024 à 19:08
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Très bien dit, rien à ajouter.

le 17/06/2024 à 11:38
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Les français ont compris qu'ils ne veulent pas des brexiteurs qui nous plongeraient encore plus vite à la ruine.

à écrit le 16/06/2024 à 10:40
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Bonjour. Les programmes politiques des deux partis en opposition semblent des plus difficiles a réaliser dans la conjoncture actuelle... Notre pays a 3 000 miliards de dette et la situation économique n'est pas si bon que cela .... Si certains par...

à écrit le 16/06/2024 à 10:06
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Vivement Bardella au pouvoir qu'on rigole !

le 16/06/2024 à 11:37
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@Menon - Zut...on va pas rigoler parce que Bardella ne sera pas premier ministre.

à écrit le 16/06/2024 à 8:54
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C'est Macron & Lemaire qui nous ont mis là où nous sommes, le narratif est fallacieux, les médias sont complices. Annulation de la dette covid et tout ira mieux.

le 16/06/2024 à 9:20
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Pourriez expliquer comment vous annulez la dette COVID il est toujours intéressant de voir des idées toutes faites mais jamais d'explications. Les charlatans de l'économie RN LFI enfilent les plus en difficulté. Nous avons aussi les magiciens qui n'a...

à écrit le 16/06/2024 à 8:26
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Les patronats ménagent le RN sachant qu'au bout du compte ce sont eux qui arbitreront, voire définiront la politique économique de l'excécutif en cas de victoire de LRN.

à écrit le 16/06/2024 à 8:14
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Vu le niveau intellectuel de nos patrons il est évident que l'extrême droite ne les dérange pas du tout « Que les milieux économiques se mouillent ! » Pourquoi se mouilleraient ils ? Pour qui surtout ? Ils ne peuvent pas appeler à voter extrême droit...

le 16/06/2024 à 8:48
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Ils ont surtout peur car ils ont refusé de voir l'avenir du RN et ne les ont jamais financé pour avoir la main mise sur eux comme sur Macron, PS LR....

le 16/06/2024 à 9:08
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"et ne les ont jamais financé" Directement je demande à voir, indirectement via l'UE et le système politique français ils ne sont pas à plaindre hein, ça va pour eux, merci. On donne près de deux euros au parti pour lequel on vote.

à écrit le 16/06/2024 à 7:49
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Le Front populaire est la parfaite démonstration du complot anti-démocratique qui sévit dans notre pays. Malgré la débâcle économique et sociale provoquée par le macronisme, c'est l'opposition légitime qui n'a pas le pouvoir qui est accusée de tous c...

à écrit le 16/06/2024 à 7:36
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Cela fait tout de même quelques décennies que ceux qui créent l’activité économique dans ce pays ne s’occupent plus directement de politique. Les gouvernants font partie des contraintes de nos entreprises, et leurs dirigeants essaient tant bien que m...

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