Bangladesh : La Première ministre a démissionné et fui en Inde, l'armée aux commandes

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Des gens escaladent la residence de la premiere ministre du bangladesh[reuters.com]
(Crédits : Mohammad Ponir Hossain)

par Ruma Paul et Sudipto Ganguly

DACCA (Reuters) - La Première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 2009, a démissionné lundi et fui le pays, emportée par un mouvement de contestation d'une violence sans précédent depuis l'indépendance en 1971.

Dans une adresse à la nation, le commandant en chef de l'armée, le général Waker-Uz-Zaman, a annoncé la démission de Sheikh Hasina et assuré qu'un gouvernement intérimaire serait formé.

Fille du père de l'indépendance du Bangladesh, l'ancien président Sheikh Mujibur Rahman, mort assassiné à Dacca en 1975, Sheikh Hasina, 76 ans, était au pouvoir depuis 15 ans, après un premier mandat entre 1996 et 2001.

La Première ministre a atterri sur l'aérodrome militaire de Hindon, près de Delhi, ont déclaré à Reuters deux responsables du gouvernement indien, ajoutant que le conseiller à la Sécurité nationale, Ajit Doval , l'y avait rencontrée. Ils n'ont pas donné de détails sur son séjour ni sur ses projets.

L'inde, qui entretient des liens culturels et commerciaux étroits avec le Bangladesh, n'a pas fait de commentaire officiel sur les événements à Dhaka.

La chaîne de télévision indienne Times Now, citant des sources, a rapporté que Sheikh Hasina allait quitter Hindon pour se rendre à Londres à 19h30 GMT. Reuters n'a pu confirmer ces informations dans l'immédiat.

L'autorité de Sheikh Hasina était contestée depuis sa reconduction en janvier à la suite d'élections législatives boycottées par l'opposition, dont le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) de Khaleda Zia, et remportées par le parti de la Première ministre, la Ligue Awami.

La crise a éclaté en juillet dernier avec des manifestations antigouvernementales à l'initiative d'un collectif étudiant, "Students against discrimination" ("Etudiants contre la discrimination"), qui protestaient contre la réinstauration en juin de quotas dans la fonction publique, jugés discriminants.

Des manifestants dénonçaient un fait du prince de la Ligue Awami pour réserver des postes à ses partisans, dans un pays où quelque 18 millions de jeunes sont au chômage.

Quelque 250 personnes ont été tuées et des milliers d'autres blessées dans des heurts entre partisans d'Hasina et de l'opposition et lors de l'intervention des forces de sécurité.

Dimanche, de nouveaux affrontements entre les manifestants et la police ont fait au moins 91 morts, dont 13 policiers, et des centaines de blessés.

Le bureau du porte-parole de l'armée a déclaré qu'un couvre-feu serait instauré de lundi minuit jusqu'à mardi 6 heures du matin, suivi de la réouverture des écoles, usines, collèges et universités.

Le gouvernement de Sheikh Hasina avait imposé un couvre-feu pour une durée indéterminée à partir de dimanche soir et trois jours fériés à partir de lundi.

SCÈNES DE LIESSE À DACCA

Le général Waker-Uz-Zaman a lancé un appel au calme et promis une sortie de crise rapide.

Il a assuré avoir eu des discussions "fructueuses" avec les principaux partis du pays, sauf la Ligue Awami, et précisé qu'il rencontrerait bientôt le président Mohammed Shahabuddin pour discuter de la suite.

"Le pays traverse une période révolutionnaire", a déclaré l'officier, qui a pris ses fonctions le 23 juin.

"Je vous promets que j'apporterai de la justice, contre les meurtres et l'injustice. Nous vous demandons d'avoir foi en l'armée de votre pays. J'assume toutes les responsabilités et je vous assure que vous ne serez pas déçus", a-t-il dit.

"Je vous demande d'être un petit peu patients, de nous donner du temps, et ensemble nous pourrons résoudre tous les problèmes", a-t-il poursuivi.

"S'il vous plaît, ne retournez pas sur le chemin de la violence, revenez à des voies non-violentes et pacifiques", a insisté le commandant en chef de l'armée.

A l'annonce du départ de Sheikh Hasina, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Dacca, la capitale, pour manifester leur joie. Des milliers de manifestants ont envahi la résidence officielle de Sheikh Hasina, en faisant le "V" de la victoire et en levant le poing.

Certains ont emporté des télévisions, des chaises et des tables de la résidence Ganabhaban, autrefois l'un des bâtiments les mieux protégés du pays, selon des images de la télévision nationale.

"Elle a fui le pays, elle a fui", scandaient les manifestants.

Certains d'entre eux sont montés au sommet d'une statue de Sheikh Mujibur Rahman et s'employaient à en ôter la tête avec une hache.

Les étudiants avaient appelé à une grande marche sur Dacca lundi, ignorant le couvre-feu imposé dimanche par les autorités, qui avaient également décrété trois jours de congé au niveau national à compter de lundi.

Au moins six personnes ont été tuées lundi dans des heurts entre forces de l'ordre et manifestants dans les quartiers de Jatrabari et du Collège médical de Dacca, selon le journal Daily Star.

La compagnie ferroviaire nationale a interrompu les services de trains jusqu'à nouvel ordre.

(Reportage Ruma Paul et Sudipto Ganguly ; rédigé par YP Rajesh, version française Blandine Hénault, Sophie Louet et Kate Entringer)