La Chine confrontée à un scepticisme croissant sur ses engagements économiques

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Un ecran geant diffuse des images du plenum, a pekin[reuters.com]
(Crédits : Tingshu Wang)

par Joe Cash et Kevin Yao

BEIJING (Reuters) - La Chine fait face à une pression croissante dans un contexte d'aggravation des déséquilibres de son économie, le pays peinant à atteindre les objectifs à long terme qu'il s'est fixés malgré l'engagement renouvelé en ce sens par ses dirigeants la semaine dernière à l'occasion du IIIe plénum.

La deuxième économie mondiale souffre pêle-mêle de pressions déflationnistes, de la faiblesse de la demande intérieure ou encore de l'hostilité croissante de l'Occident à l'égard de sa domination dans les exportations.

La réunion des dirigeants chinois lors du plénum clos jeudi, un événement politique qui se tient tous les cinq ans, a choisi de mettre l'accent sur la continuité en matière politique plutôt que sur des changements structurels.

En Bourse, les indices SSE Composite et CSI 300 ont fini lundi en repli respectivement de 0,61% et de 0,68% malgré l'annonce surprise par la Banque populaire de Chine (BPC) de l'abaissement d'un taux directeur clé à court terme et des taux de prêt de référence, afin de stimuler la croissance économique du pays.

Le plénum "n'a clairement pas changé la donne en termes de réformes annoncées, surtout si l'on considère les défis à venir tant sur le plan extérieur que sur le plan intérieur", relève Alicia Garcia Herrero, chef économiste pour l'Asie-Pacifique chez Natixis.

"On a l'impression que les autorités chinoises préfèrent tenter de se sortir de la boue en campant sur leurs positions. Le problème est qu'il y a désormais davantage de boue à gérer"

Les économistes commencent à se lasser de l'absence de progrès quant aux engagements sur une amélioration de l'environnement commercial pour le secteur public, de l'attribution aux marchés d'un rôle crucial dans l'allocation des ressources ou de l'augmentation des recettes fiscales.

L'ordre du jour du plénum de 2024 ne s'écarte que très peu de celui publié en 2013, qui avait à l'époque suscité aux yeux des investisseurs dans le monde une grande confiance dans l'expansion future de la Chine et donné à penser que le président Xi Jinping serait un réformateur.

De nombreux économistes affirment désormais que la Chine a depuis fait des pas en arrière en ce qui concerne la libéralisation de son marché et du secteur privé, avec notamment le renforcement du contrôle des capitaux à la suite de la déroute boursière de 2015 et la mise en place d'un durcissement de la réglementation dans les secteurs de la technologie, de la finance et d'autres industries au cours des dernières années.

Les promesses de la Chine de stimuler la demande intérieure, de renforcer les droits fonciers ruraux, d'améliorer le système de sécurité sociale et de réformer le système de passeport intérieur, remontent également à au moins 2013.

Le passeport intérieur, une mesure qui limite les flux de population entre les villes et les campagnes, date de l'ère Mao. Il est accusé d'être à l'origine d'énormes inégalités entre les zones rurales et urbaines.

En réaffirmant un programme politique dont le bilan est mitigé, Pékin est confronté à un déficit de crédibilité qu'il n'avait pas il y a dix ans et devra agir avec plus d'urgence s'il veut redresser le moral des entreprises et des consommateurs, qui se trouve à un niveau historiquement bas, selon les économistes.

De manière inhabituelle pour un plénum, qui a tendance à rester vague sur les délais de mise en oeuvre, Pékin s'est engagé à atteindre ses objectifs politiques d'ici à 2029.

Mais cette échéance concrète n'a pas suffi à rassurer les investisseurs.

"Il n'est ni simple ni facile de modifier les attentes du marché", note Zong Liang, chercheur à Bank of China, une banque publique.

"Quand on a été un peu trop loin, on veut désormais faire machine arrière, mais les gens ne sont pas rassurés", a-t-il ajouté.

Pour Zong Liang, le plénum a cependant dessiné une voie positive pour l'avenir, mais il craint qu'un "environnement extérieur difficile", en particulier si l'ancien président américain Donald Trump remporte l'élection de novembre, n'affaiblisse les voix réformistes en Chine.

UN "MALAISE PERSISTANT"

L'une des différences notables par rapport à 2013 est l'accent mis par le dernier plénum sur les "nouvelles forces productives", un slogan du président Xi Jinping qui recouvre la vision d'une croissance soutenue par des développements scientifiques et technologiques.

La Chine mise sur les produits d'exportation de haute technologie pour devenir un nouveau moteur de croissance, ce qui lui permettrait de compenser la faiblesse du retour sur investissement dans les infrastructures et les dépréciations croissantes auxquelles elle fait face depuis l'éclatement de la bulle immobilière en 2021.

Cette initiative inquiète Washington, Bruxelles et d'autres capitales occidentales qui affirment que Pékin est à l'origine d'une surcapacité industrielle dans divers secteurs, ce qui menace les emplois manufacturiers dans le monde entier.

Elle inquiète également de nombreux économistes qui affirment que la deuxième économie mondiale doit réduire sa dépendance excessive à l'égard des marchés extérieurs et des investissements alimentés par la dette. Ils prônent que la Chine stimule plutôt la consommation des ménages.

Pour ces économistes, un modèle de développement davantage axé sur la consommation est vital pour le potentiel de croissance à long terme de la Chine.

"Si l'accès aux principaux marchés d'exportation de la Chine est restreint, les autorités devront s'appuyer sur l'économie intérieure chancelante pour générer de la croissance - une tâche difficile étant donné le malaise persistant quant à la santé de l'économie domestique", écrit Moody's Analytics dans une note publiée après le plénum.

Frederic Neumann, chef économiste pour l'Asie chez HSBC, estime que les investisseurs dans le monde à l'affût de "changements spectaculaires" pourraient être déçus par les actualisations "progressives" du programme politique de la Chine, mais qu'il reste optimiste.

La différence essentielle est que le programme de 2013 reflétait les ambitions héritées par Xi Jinping de ses prédécesseurs. Le dernier plénum, lui, a été grandement défendu par le président chinois, ce qui accroît les chances d'une mise en oeuvre plus énergique, a-t-il dit.

"Nous devons lui accorder un peu le bénéfice du doute", a-t-il poursuivi. "Mais je pense que dans un délai de six mois environ, nous devrons voir des réformes", s'est-il avancé, tout en notant que la patience des investisseurs était à bout.

(Rédigé par Marius Zaharia; version française Claude Chendjou, édité par Kate Entringer)