Pour la jeunesse d'Iran, la contestation de 2022 en toile de fond de la présidentielle

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Manifestation apres la mort de mahsa amini en 2022[reuters.com]
(Crédits : Wana News Agency)

par Parisa Hafezi

DUBAI (Reuters) - Deux ans plus tard, leurs divergences politiques demeurent. Atousa fait partie des milliers de jeunes Iraniens descendus dans la rue en 2022 pour crier leur colère contre le régime, que des loyalistes comme Reza ont protégé.

Leur opposition illustre le contexte dans lequel va se tenir vendredi l'élection présidentielle, organisée à la suite du décès d'Ebrahim Raïssi dans un accident d'hélicoptère le mois dernier.

Atousa, désormais âgée de 22 ans, a décidé de ne pas se rendre aux urnes, considérant que le scrutin est un simulacre. Reza, 26 ans, membre de la milice paramilitaire Basij, attribue pour sa part une grande importance à cette élection.

Les jeunes électeurs font l'objet d'une attention particulière de la part des six candidats - cinq radicaux et un modéré, approuvés par une commission spécifique -, que ce soit dans leurs discours, leurs messages de campagne ou via les réseaux sociaux, alors que 60% des 85 millions d'habitants du pays ont moins de 30 ans.

"Cette élection, comme toutes les élections en Iran, est un cirque", a déclaré Atousa à Reuters, refusant de donner son identité complète pour des raisons de sécurité. "Pourquoi irai-je voter alors que je veux que le régime soit renversé ?"

"Même si c'était un scrutin libre et équitable, et que tous les candidats pouvaient se présenter, le président en Iran n'a aucun pouvoir", a-t-elle ajouté.

Dans le système théocratique iranien, le président gère les affaires courantes du gouvernement tandis que les principales décisions reviennent au guide suprême de la révolution islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, qui dispose par exemple du dernier mot sur le nucléaire et la politique étrangère.

Sur les réseaux sociaux, le mot-clé #ElectionCircus est très utilisé depuis plusieurs semaines par les Iraniens dont certains, se trouvant dans le pays ou à l'étranger, appellent au boycott du scrutin du 28 juin.

A l'image de nombreux jeunes et de nombreuses femmes, Atousa a pris part en 2022 aux manifestations provoquées par la mort de Mahsa Amini à la suite de son arrestation par la police des moeurs, qui reprochait à la jeune femme kurde de n'avoir pas respecté le code vestimentaire figurant dans la loi.

ENTRE ESPOIR DÉCHU ET "DEVOIR"

Ce mouvement de contestation a été un défi d'une ampleur inédite pour le régime de Téhéran, qui a mis en oeuvre une répression sanglante pour l'éteindre, déployant à travers le pays les forces de sécurité épaulées par les miliciens - en tenue civile - de la Basij.

D'après des activistes, plus de 500 personnes, dont 71 mineurs, ont été tuées lors des manifestations, tandis que plusieurs centaines d'autres ont été blessées et des milliers d'autres arrêtées.

Sept personnes ont été condamnées à mort et exécutées pour des accusations liées au mouvement de contestation.

Les autorités iraniennes n'ont pas donné de bilan officiel. Elles ont rapporté que des dizaines de membres des forces de sécurité ont été tués dans des "émeutes".

"Je sacrifierais ma vie pour la République islamique et son dirigeant. Voter relève de mon devoir religieux. Ma participation va renforcer" le système, a déclaré Reza, habitant d'un quartier populaire du sud de la capitale Téhéran.

Il a indiqué qu'il voterait en faveur d'un candidat radical qui soutient la "résistance économique" prônée par Ali Khamenei - autosuffisance économique, renforcement des échanges commerciaux avec les pays voisins et amélioration des liens économiques avec la Chine et la Russie. L'économie iranienne est plombée par une mauvaise gestion, la corruption et les sanctions imposées par les Etats-Unis.

Reza et Atousa disent avoir des regrets à propos des manifestations de 2022, pour des raisons différentes.

Le premier nommé déplore que la contestation a donné lieu à une pression accrue des pays occidentaux, qui ont imposé des sanctions contre des représentants iraniens et les forces de sécurité accusés de violations des droits humains. Téhéran reproche à l'Occident d'être à l'origine des troubles.

"J'aurais aimé que les manifestations n'aient pas eu lieu (...) Nos ennemis s'en sont servi comme prétexte pour accentuer la pression sur notre pays", a déclaré Reza.

C'est avec tristesse qu'Atousa évoque cette période. "J'avais de l'espoir", a-t-elle dit. "Je pensais que le changement allait enfin arriver et que je serais capable de vivre sans répression dans un pays libre (...) J'ai payé un lourd tribut mais le régime est toujours là".

(Parisa Hafezi; version française Jean Terzian; édité par Zhifan Liu)