Quand les ados font les succès du grand écran

Plébiscités par les jeunes, « Le Règne animal » et « Le Consentement » atteignent des records d’entrées en salles.
Charlotte Langrand
Jean-Paul Rouve et Kim Higelin dans « Le Consentement ».
Jean-Paul Rouve et Kim Higelin dans « Le Consentement ». (Crédits : JULIE TRANNOY)

C'est dix jours après la sortie en salles qu'ils ont compris qu'il se passait « quelque chose d'inhabituel ». Les statistiques s'affolaient, la courbe des entrées grimpait. Les deux producteurs du film Le Consentement, Carole Lambert et Marc Missonnier, découvraient, ébahis, que le film de Vanessa Filho, qui avait pourtant démarré gentiment à 60 000 entrées la première semaine de sa sortie, le 11 octobre, venait de faire un « rebond » de 70 %... La fille de Carole Lambert avise alors sa mère : « Tu devrais regarder TikTok, il y a un trend sur le film. » Une « tendance lourde » émerge en effet sur le réseau social chinois plébiscité par les adolescents : d'innombrables vidéos de jeunes filles se filmant avec leur téléphone à la sortie du Consentement pour expliquer les émotions fortes qu'elles ont ressenties devant cette terrible histoire d'emprise adaptée de la vraie vie de Vanessa Springora, victime du prédateur sexuel Gabriel Matzneff.

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« On espérait faire en tout entre 120 000 et 150 000 entrées et, mardi, nous avons atteint les 500 000 ! s'enthousiasme Marc Missonnier. C'est sans précédent, qu'un film d'auteur fasse un tel score... »

Le poids de TikTok

Autre spécificité inédite, ce ne sont pas les adultes, qui constituent habituellement le public des films d'auteur, qui ont fait ce succès ; ce sont les adolescents qui se sont emparés du film.

« 45 % du public a moins de 25 ans, soit 41 % de jeunes filles et 4 % de jeunes garçons, poursuit le producteur. D'habitude, la proportion de moins de 25 ans pour un film d'auteur est de 10 %. »

C'était compter sans les vidéos TikTok qui, pour certaines d'entre elles, ont cumulé des millions de vues et sont devenues virales chez les jeunes : qu'ils aient aimé, qu'ils aient été bouleversés ou choqués par le film, les adolescents n'en sortent pas indifférents et le font savoir. De mémoire de cinéma, on n'a jamais vu ça. Le phénomène, inédit, déjoue jusqu'aux logiques marketing les plus affûtées.

Les ados et leurs parents ne se séparent pas à l'entrée du cinéma

Les guichets des salles de cinéma ne voient pas défiler les ados que pour Le Consentement. Un autre film d'auteur d'un tout autre style vient de dépasser... le million d'entrées en France. Le Règne animal, de Thomas Cailley, avec Romain Duris, Paul Kircher et Adèle Exarchopoulos, aurait été financièrement à l'équilibre avec 700.000 entrées, mais ce film de genre bénéficie d'un bouche-à-oreille exceptionnel. Chose rare, il voit se presser dans les salles à la fois les ados et leurs parents, qui pour une fois ne se séparent pas à l'entrée du cinéma pour aller voir chacun leur film : les blockbusters américains pour les premiers et les œuvres françaises pour les seconds.

« C'est une spécificité qui m'émeut aux larmes, avoue Pierre Guyard, le producteur du Règne animal. C'est magnifique de réunir les familles... Mes plus beaux souvenirs d'ado, c'était d'aller au cinéma avec mon père quand j'avais 14 ans. »

Quatorze ans, justement. Les statistiques disent que seulement 5 % des ados en dessous de cet âge vont voir des films... français. Ils plébiscitent plutôt les films fantastiques américains à gros budget du type Marvel qui, même s'ils font toujours de très bons résultats, commencent de leur côté à peiner pour atteindre le million d'entrées habituel. « Mes élèves disent qu'ils vont deux ou trois fois par an au cinéma pour voir des gros blockbusters, qu'ils imaginent davantage faits pour eux que les films français, explique Éric Schwab, professeur de lettres en lycée, à Chantilly. Dernièrement, ils ont vu Barbie et Mario... »

Mais c'était compter sans cet enseignant ultra-cinéphile qui a programmé un contrôle sur Le Règne animal à la rentrée des vacances de la Toussaint, « contraignant » ainsi ses terminales à emprunter le chemin des salles obscures pour réfléchir au sujet du film : l'évolution des rapports d'un père et de son fils dans un monde où d'étranges mutations transforment les humains en animaux.

« Nous allons aborder la partie du programme sur les "métamorphoses du moi" ; ce film ne pouvait pas mieux tomber, car le thème de la mutation pose la question de l'identité, poursuit-il. À part une élève sensible au fantastique, ils ont tous dit qu'ils ne seraient jamais allés voir ce film d'eux-mêmes mais qu'ils l'avaient adoré. »

Pourtant, point de miracle au pays du cinéma. Outre leurs qualités cinématographiques intrinsèques, Le Consentement et Le Règne animal portent des thèmes importants, qui parlent frontalement aux adolescents d'aujourd'hui des angoisses qui les traversent : l'adolescence elle-même et ses transformations physiques, le péril écologique ou encore les questions sexuelles et de genre.

« C'est un film à la fois fantastique et d'auteur »

« La plupart des jeunes n'ont pas lu Vanessa Springora mais le mot "consentement" leur parle énormément, constate le producteur Marc Missonnier. Cela fait partie du quotidien et de la vie de cette génération, bien plus que de celle des quadragénaires. »

Refusant de se laisser enfermer dans le genre de la science-fiction, le producteur Pierre Guyard a, lui, communiqué et positionné Le Règne animal comme une œuvre de cinéma plutôt que comme une histoire fantastique. « Il est hybride, confirme-t-il. C'est un film à la fois fantastique et d'auteur, avec un discours sur la transmission et sur l'écologie, une relation père-fils inscrite dans le monde actuel qui dit qu'un père doit laisser partir son fils, avec un regard sur l'autre, le vivant et la différence. » L'histoire évoque aussi l'écologie d'une nouvelle façon, moins catastrophiste ou culpabilisatrice. « En plus, mes lycéens l'ont trouvé haletant, pas ennuyeux et même drôle, avec le père et ses citations ou l'ado qui marmonne comme eux, complète Éric Schwab. Ils ont aussi été émus, notamment par la scène de la voiture avec la chanson de Pierre Bachelet, qui aurait pu leur paraître ringarde ! »

Les excellents Kim Higelin, 23 ans, qui incarne Vanessa Springora dans Le Consentement, et Paul Kircher, 21 ans, qui joue le fils de Romain Duris dans Le Règne animal, ont achevé de faire fonctionner à fond l'identification et l'adhésion du jeune public aux personnages, bien que le premier se déroule dans le Paris littéraire des années 1950 et le second dans un monde futuriste... Reste un vœu en forme d'espoir, formulé par les producteurs heureux de ces deux succès : « C'est notre rêve, de sortir les ados de leurs blockbusters et de faire des films de génération qui parlent aux jeunes », avance Pierre Guyard. Et Marc Missonnier de renchérir : « J'espère que maintenant, la profession va suivre en nommant les films aux Césars ! »

500.000 entrées pour « Le Consentement ». Les producteurs du film en espéraient entre 120 000 et 150 000.

Charlotte Langrand

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Commentaire 1
à écrit le 19/11/2023 à 9:26
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Internet est une révolution spirituelle en marche, au début il était normal que tout le monde se vautre dans le conformisme et ses dérives habituelles mais avec l'expérience et le recul il est aussi logique que les gens habitués à maitriser l'outil, ...

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