La Liste, Michelin, 50 Best, ou le lent naufrage de la pensée critique

Guerre des guides, imbroglio de nominations, jeux de concurrence… Les lauréats sont-ils vraiment les meilleurs restaurants ?
Les 1 000 restaurants primés par l’édition 2024 de La Liste ont été annoncés jeudi.
Les 1 000 restaurants primés par l’édition 2024 de La Liste ont été annoncés jeudi. (Crédits : © Roses Nicolas/ABACA ; David Holbrook ; Geoffrey Hubbel)

Jeudi, La Liste a révélé son classement mondial des 1 000 meilleures tables au monde. Un rangement un brin opaque, dans la lignée des classements concurrents qui laissent songeur...

1 - Tout cela a commencé avec le guide américain de Tim et Nina Zagat (1979) s'appuyant sur les avis des consommateurs. L'arrivée à Paris en 2002 fut moins probante, car la capitale manqua comme prévu de sérieux avec un bidonnage lassant où se jouèrent les jalousies commerciales, les faux compliments voire les petites phrases assassines émanant du voisinage et déclarant « fermés depuis peu » d'innocents restaurants. Les résultats furent tout de même étranges puisque la palme du restaurant préféré des Parisiens revenait régulièrement au Taillevent, fréquenté, que l'on sache par un petit noyau dur de puristes fortunés.

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2 - Le magazine Restaurant prit la relève en 2002 avec un jury sommaire composé d'Anglais et de Canadiens. Il fit sensation en nommant El Bulli (Espagne) meilleur restaurant au monde. En quelques années, améliorant ses panels mais restant discutable dans ses orientations, préférant la notoriété et la novation aux talents purs mais plus discrets et surtout récompensant régulièrement les villes invitantes en inscrivant illico les tables locales dans son classement, le 50 Best Restaurants, solidement sponsorisé, il allait régulièrement mettre les nerfs des chefs français à rude épreuve...

3 - Ces derniers, quelque peu vénères, allaient vite réagir en lançant en sous-main La Liste, et ce qui devait arriver arriva. La Liste sortit son nez en 2005 et, au grand étonnement de la foule, se trouvaient dans les meilleurs restaurants au monde une forte proportion de chefs français ou francophiles.

Fini le temps des Courtine, Philippe Couderc, Henri Gault et Christian Millau

4 - Encore fallait-il expliquer ce miracle mondial. La Liste ne fait que reprendre le fonctionnement de ses concurrents, qui ont toujours su garder un grand mystère, avec des décisions secrètes s'appuyant sur le travail de ses inspecteurs (Michelin), le vote d'un grand jury (50 Best) ou un moulinage de data informatique pour La Liste. Et ça passe comme une lettre à la poste. Le mélange des genres est ainsi vite arrivé ; par exemple, le tout nouvel actionnaire de La Liste, Walter Butler, franco-brésilien, milliardaire, ayant également des participations chez Pierre Hermé (85 %, nommé récemment meilleur pâtissier au monde) par La Liste, Guy Savoy (70 %), au Paradis Latin et tout récemment à L'Ambroisie, place des Vosges à Paris...

5 - Ces classements spectaculaires témoignent de la disparition de la critique traditionnelle. Fini le temps où les Courtine, Philippe Couderc, Henri Gault et Christian Millau apportaient un peu d'esprit, de professionnalisme et de recul tout en mettant les doigts dans la confiture. Quand l'ambiance était un peu plus légère, les enjeux commerciaux moins forts et que le copinage restait de la camaraderie. Aujourd'hui, les résultats sont délibérément « lissés », quitte à paraître embarrassants pour les nommés. Se sont tissées des interactions toxiques de lobbyistes, d'attaché(e) s de presse et d'influenceurs loin du flux normal de la restauration entretenant une nomenklatura dodue ayant son rond de serviette aux « meilleures tables du monde » (ou qui espèrent le devenir). Le plus cocasse dans cette nouvelle guéguerre de cour de récréation restant la réaction du Michelin envers Guy Savoy (sacré jeudi pour la septième année consécutive meilleur restaurant au monde par La Liste). La réponse lunaire du Michelin ne tarda pas : Guy Savoy perdait illico sa troisième étoile en 2023.

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Commentaire 1
à écrit le 19/11/2023 à 9:30
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Certainement pas mais cela permet ainsi de mettre tout ces gens dans des petites cases convenues afin de pouvoir en évaluer financièrement la valeur marchande. Nietzsche critiquait l'étatisation générale de la société qui imposait du coup des diplôme...

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