Cinéma : Valérie Lemercier inattendue dans « L’Arche de Noé »

ENTRETIEN - L’actrice s’éloigne de la comédie pour interpréter une bénévole qui aide les jeunes LGBT rejetés par leurs familles. Rencontre avec une adepte de la transformation.
Charlotte Langrand
Dans le film, Valérie Lemercier campe Noëlle, une bénévole expérimentée au sein d’une association d’aide aux majeurs LGBT.
Dans le film, Valérie Lemercier campe Noëlle, une bénévole expérimentée au sein d’une association d’aide aux majeurs LGBT. (Crédits : ELIPH PRODUCTIONS)

Dans l'ascenseur qui mène à la séance photo et après une journée non-stop d'interviews, elle balance, l'œil rieur : « D'habitude, moi, je ne suis pas une femme UGC [le distributeur du film dans lequel elle joue], je suis plutôt une femme Gaumont ! » Elle a dit cela sur le ton de la fameuse pub des années 1990 : « Je suis une femme Barbara Gould », détournée par les Nuls en « femme Barbara gourde ». L'ascenseur et ses quatre passagers pouffent de rire. Ainsi va Valérie Lemercier : toujours une vanne au bord des lèvres, le second degré en bandoulière, alors que nous la rencontrons pour un film qui n'est pas vraiment une comédie. La Valérie Lemercier du moment n'est ni la Béatrice de Montmirail des Visiteurs, ni la Miss Macintosh d'Astérix et Obélix - Au service de Sa Majesté ni Aline, la Céline Dion fantasmée qu'elle a jouée dans le film du même nom qu'elle a réalisé en 2020.

Avec sa cape de pluie toujours sur le dos et le sac banane qu'elle ne quitte jamais même pour manger, la comédienne s'est transformée en Noëlle, dans le premier film de Bryan Marciano, L'Arche de Noé. Responsable d'une association qui accueille les jeunes LGBT rejetés par leur famille, elle fait ce qu'elle peut, dans un grand vacarme de blagues et de drames, pour tenter d'aider ces jeunes à se trouver une place dans la société. Un thème qui résonne avec l'époque et avec son film Le Derrière (1999), où elle raillait déjà la perception de l'homosexualité dans la société. L'Arche de Noé est ainsi l'occasion de parler avec elle des évolutions du genre, des liens étroits entre la comédie et le drame, de son rôle dans le dernier Woody Allen, et de prendre des nouvelles... de Céline Dion.

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LA TRIBUNE DIMANCHE- Pourquoi avoir fait ce film, qui n'est pas vraiment une comédie ?

VALERIE LEMERCIER - J'ai mis du temps à lire le scénario parce que j'aurais voulu rester dans mon Aline toute ma vie... Mais il fallait passer à autre chose ! J'ai été conquise par Bryan [Marciano], par sa niaque et sa personnalité. Il était obsédé par son film et j'aime beaucoup les cinéastes que le cinéma empêche de dormir... J'ai su que ce ne serait pas « un film de plus ».

Pour préparer votre rôle, êtes-vous allée dans une association qui accueille des jeunes LGBT rejetés par leur famille ?

Oui car c'est un monde que je ne connais pas bien. J'ai passé du temps avec des aidants, des aidés... Il y avait cette femme qui avait un gros poste mais qui passait 30 % de son temps à s'occuper d'eux. Elle ne voulait pas que des gosses subissent ce qu'elle a subi. Je me suis rendu compte de la chance qu'on a quand on peut décider de partir de chez ses parents : moi, à 14 ans, je voulais être en pension, surtout ne pas rester chez moi, mais ce n'est pas du tout pareil que d'être mis à la porte...

En observant cette femme, qu'avez-vous appris sur les bénévoles ?

Je l'ai beaucoup regardée. J'ai bien compris qu'elle ne s'était pas vue dans un miroir depuis longtemps. Elle n'est pas dans la sophistication, elle s'en fiche de plaire. Bryan voulait que mon personnage porte une cape de pluie tout le temps. J'ai acheté une petite banane chez Kilo Shop, pour qu'elle soit « encombrée » de plein de trucs. Elle parle tout le temps. C'est quelqu'un qui n'a pas le temps d'enlever son manteau, pas le temps de fumer sa clope, pas le temps tout court. Elle agit. Elle dit : « Ceux qui vont mal, il faut les occuper. »

Il faut être dans le concret pour aider les autres ?

Il ne faut faire que ça. Dire à quelqu'un qui va mal « Allez, tu vas éplucher les haricots », c'est efficace, ça équivaut à refaire un pas après l'autre... Noëlle fait en sorte qu'il se passe des choses concrètes. Les jeunes sont encadrés, ils doivent faire des projets et ne font pas que recevoir. Et puis ils font ce spectacle, même si ce n'est pas Broadway ! Ils sont ensemble malgré tout : tout n'est pas tout noir. Les bénévoles se sauvent aussi un peu eux-mêmes en aidant les autres, mais Noëlle a compris qu'il faut garder une distance, qu'on n'est pas là pour faire des bisous à tout le monde.

Comment vous êtes-vous entendue avec ces jeunes qui avaient parfois eux-mêmes vécu ces situations ?

Je me suis tout de suite sentie bien avec eux. On vivait en vase clos, mais parfois on allait dehors pour tourner et les gens les dévisageaient... C'est hélas leur quotidien. Depuis que je suis petite, je me suis toujours sentie du côté des gens qui sont rejetés, qui ne sont pas ce que l'on attend d'eux. Ces jeunes ont décidé d'être quelqu'un d'autre, ils ne sont pas dans le moule.

Ils sont aussi très drôles... L'humour les aide à survivre ?

Oui, c'est vital pour eux. Ils ne peuvent pas faire autrement que de plaisanter : si quelqu'un se met à pleurer, tout le monde va pleurer... Ils sont très drôles, j'aurais dû noter leurs vannes ! Un jour pendant une prise, une fille a répondu à son téléphone ! C'était marrant, je n'allais pas m'offusquer : « Comment ! On ose téléphoner pendant que je fais mon art dramatique ! » Je préfère ce type de tournage plutôt que ceux où on vénère le metteur en scène...

Vous qui aimez le déguisement, la fantaisie de cette génération doit vous réjouir ?

Oui, moi j'adore la « déguise » ! J'ai l'impression que ça revient, les gens « excentriques » : se déguiser, être voyant... Dans les années 1990-2000, il fallait faire profil bas, être un peu tous pareils. Aujourd'hui, on voit davantage de croisements entre les filles et les garçons : les garçons mettent du vernis, beaucoup de gens sont tatoués, chacun s'approprie son corps. D'ailleurs, pour les jeunes d'aujourd'hui, le genre n'est pas tabou ni un sujet ! En tout cas, ils se reconnaissent dans ce film.

Vous avez toujours aimé jouer sur le physique...

J'aime me transformer ! J'adore ne pas être moi, tout simplement. Pour Aline, j'ai fait copier mon nez pour le faire porter aux acteurs qui jouent mon frère et mes parents, pour qu'on ait vraiment l'impression d'être de la même famille. Pour jouer Aline petite, j'ai les oreilles décollées et des dents de travers. Dans L'Arche de Noé, je suis super moche ! Mais c'est marrant d'alterner les rôles, de passer des talons hauts, des paillettes et de la chevelure blonde d'Aline aux cheveux gras et à la cape en plastique de Noëlle.

Justement, Céline Dion est réapparue publiquement après des mois d'absence. Êtes-vous rassurée ?

C'est la meilleure nouvelle depuis un an ! J'étais tellement heureuse parce que tout le monde s'inquiétait, on imaginait le pire... La dernière fois qu'on l'a vue, c'était le 8 décembre 2022 ; je m'étais cassé le bras la veille, et à l'hôpital j'ai vu cette vidéo tellement triste où elle annonçait sa maladie... Alors, voir Céline souriante et en forme dans les vestiaires d'un match de hockey et au concert de Katy Perry... J'étais tellement contente !

Avec ce film, voulez-vous vous éloigner de la comédie ?

Non... de toute façon, il n'y a pas de comédie sans drame, regardez Le père Noël est une ordure ou Certains l'aiment chaud... On ne peut pas faire rire avec des gens qui s'entendent bien autour d'une table. « Le rire naît de la tragédie et du temps », dit Woody Allen. On ne peut pas rire des catastrophes quand elles sont trop proches : tout tient dans la distance et le temps qu'on met avant d'en parler.

« Les jeunes du film sont très drôles, j'aurais dû noter leurs vannes !»

À propos de Woody Allen, comment avez-vous travaillé votre rôle dans Coup de chance, et avez-vous hésité avant de tourner avec lui ?

J'ai essayé de me mettre dans sa tête, en lisant sa biographie et ses interviews. C'est quelqu'un de très humble, qui dit qu'il n'a jamais fait de chef-d'œuvre ! Pour le reste, je ne me mets pas au-dessus de la justice américaine, qui l'a innocenté deux fois. Je trouve que les gens racontent n'importe quoi sur lui. J'ai énormément lu sur le sujet et je crois qu'il est innocent.

Quel est votre prochain projet ?

Je suis en train d'écrire une comédie ! Je vais la réaliser et peut-être jouer dedans... Des fois, je me dis que j'aimerais plutôt écrire, mais c'est dur, ingrat et lent. J'ai du mal avec la discipline, je me retrouve à regarder les comptes Instagram de tatoueurs au lieu de travailler ! En fait, j'en ai marre d'écrire seule, c'est très compliqué, je devrais peut-être travailler à deux. Pour moi, jouer, c'est plus facile !

L'Arche de Noé, film français de Bryan Marciano, avec Valérie Lemercier, Finnegan Oldfield, Elsa Guedj. 1 h 45.

UNE TROUPE ATTACHANTE

Ces pensionnaires-là ne sont pas des pensionnaires comme les autres. Ils parlent fort, dégainent les vannes comme le vernis à ongles, se cachent derrière les excès et le chahut. Eux, ce sont les jeunes accueillis dans une association d'aide aux majeurs LGBT rejetés par leur famille. Ils rêvent d'une vie XXL, d'avoir un métier, une voiture, de s'insérer dans la société, qui ne leur renvoie que galères et préjugés. Là, Noëlle, bénévole rompue à l'exercice, et ses cobénévoles (Elsa Guedj, toujours juste) s'affairent malgré le manque de moyens pour les aider dans leur réinsertion, alors qu'Alex (Finnegan Oldfield, en paumé avisé), un jeune homme condamné à des travaux d'intérêt général, débarque dans l'association, dubitatif. Malgré son déroulé classique, cette comédie sociétale échappe joliment au pathos et aux pièges moralisateurs de ce genre de sujet grâce à un solide humour omniprésent dans le film, qui empêche ses personnages de sombrer. On note avec plaisir que l'alchimie a vraiment pris entre cette troupe de pensionnaires attachants, tout en panache, et des bénévoles débordés mais à la vocation sans faille.

Charlotte Langrand

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