Cinéma : « Napoléon », le dernier né de Ridley Scott

Avec son « Napoléon » époustouflant dans ses reconstitutions de batailles, Ridley Scott enrichit sa galerie de figures monstrueuses.
Tahar Rahim, Vanessa Kirby et Joaquin Phoenix.
Tahar Rahim, Vanessa Kirby et Joaquin Phoenix. (Crédits : © AIDAN MONAGHAN/APPLE)

Quel est donc le point commun entre Marlon Brando et Philippe Torreton, Christian Clavier et Rod Steiger, Aldo Maccione et James Mason, Pierre Mondy et Patrice Chéreau ? Tous font partie du club des acteurs qui à travers le monde ont revêtu les habits de l'empereur Napoléon Bonaparte, au cinéma ou à la télévision. Depuis 1895 et l'invention du cinématographe par les frères Lumière, on recense plus de 1 000 films et téléfilms qui ont fait revivre Napoléon, avec plus ou moins de vraisemblance historique, plus ou moins de ressemblance physique, plus ou moins de sérieux. Choisi par Ridley Scott, Joaquin Phoenix vient donc de rejoindre ce club des 1 000.

Et pour le cinéaste, c'est d'abord un drôle de retour à ses propres sources. Il a déjà près de 40 ans quand sort son splendide premier film, Les Duellistes, adapté d'une nouvelle de Joseph Conrad. Il y raconte l'histoire mouvementée de deux officiers de la Grande Armée qui passent leur vie à se battre en duel, en marge de l'épopée militaire napoléonienne en Europe. La dernière image du film est comme l'annonce de ce Napoléon 2023 : on voit l'un des deux protagonistes, joué par Harvey Keitel, coiffé d'un bicorne comme il se doit et qui contemple une vallée qu'inonde un soleil naissant !

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 Un dévorant complexe d'Œdipe

Ridley Scott, près de cinquante ans après, retrace le parcours d'un personnage historique hors du commun, « ogre » pour les uns, « aigle » pour les autres, et quoi qu'il en soit une véritable légende dans le roman national français. Et, même si ce n'est pas la première fois, tant s'en faut, l'Empereur s'est peut-être retourné trois fois dans son tombeau des Invalides en se découvrant parlant... anglais durant plus de deux heures trente. Un comble pour celui qui, tout son règne durant, rêva d'envahir l'Angleterre à l'aide d'un prémonitoire tunnel sous la Manche.

Les puristes d'ailleurs ne manqueront pas d'adresser d'autres reproches au film qui, par exemple, commence par mettre en scène l'improbable tentative de suicide d'un Robespierre qui ressemble beaucoup plus aux rubiconds Danton et Mirabeau qu'a l'ascétique Incorruptible. Quant au dévorant complexe d'Œdipe qu'aurait éprouvé Napoléon, au poids écrasant de Joséphine de Beauharnais (à qui le film supprime sa particule...) et à une sexualité impériale pour le moins bestiale, on hésite en les voyant sur grand écran entre le sourire et la gêne.

L'Empereur s'est peut-être retourné trois fois dans son tombeau des Invalides en se découvrant parlant... anglais durant plus de deux heures trente

Ce qui est loin d'être le cas des reconstitutions des batailles napoléoniennes, d'Austerlitz à la retraite de Russie. Là, Ridley Scott retrouve sa maestria habituelle en négligeant les effets spéciaux qui comme chacun le sait se révèlent trop souvent spécieux, il recrée de façon époustouflante les canonnades, cavalcades et débandades sur la glace percée à coups de canon. Là réside l'intérêt majeur du film, qui ne recule devant rien pour décrire les horreurs de combats qui furent comme autant de massacres au bilan humain terrifiant.

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Des allures de despote aux réactions parfois enfantines.

Pour appréhender les facettes politique, sociale, économique et culturelle de l'ère napoléonienne, qui n'en manqua pas, il vaudra donc mieux se tourner vers d'autres films plus inspirés et plus attentifs à ces réalités dont certaines, en France au moins, restent d'actualité comme ces centaines d'articles du Code civil, dit Code Napoléon. Mais le film matriciel demeure assurément celui qu'Abel Gance réalisa en 1927 et qui retrace le parcours de Bonaparte de 1781 à 1796 : un film qui dure plus de cinq heures, conçu pour être projeté sur trois écrans géants et qui devrait renaître en 2024 après un travail de restauration à la hauteur de la démesure du projet initial.

On reverra également avec plaisir le bavardage étourdissant de la saga Napoléon vue par Sacha Guitry ou bien encore le jeu fiévreux de Patrice Chéreau habitant littéralement son personnage dans Adieu Bonaparte de Youssef Chahine. Pour l'heure, il s'agit de découvrir l'interprétation de Joaquin Phoenix, qui traverse curieusement le film de Ridley Scott avec des allures de dictateur et de despote aux réactions parfois enfantines. Alexandre Dumas affirma un jour qu'on pouvait violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Disons que le Napoléon de Ridley Scott, à défaut d'être vraiment beau, se révèle définitivement spectaculaire.

Napoléon, de Ridley Scott, avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim et Rupert Everett, 2 h 39. Au cinéma mercredi.

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