Tendance : le rosé sans frontières

Bien décidées à se positionner sur le marché, d’autres régions viticoles que la Provence tentent de gagner le cœur des amateurs. Non sans un certain succès.
Femme tenant un verre de vin rosé au coeur des vignes.
Femme tenant un verre de vin rosé au coeur des vignes. (Crédits : © LTD / Shutterstock)

Vin favori de l'été, le rosé est consommé chaque année par près de neuf Français sur dix, à mi-chemin entre le blanc et le rouge. Porte-étendard de cet engouement ayant atteint un pic en 2019, y compris à l'export, la Provence demeure un exemple en la matière tant sa stratégie de reconquête a su marquer les esprits... et bien souvent les palais. Face à des ventes désormais stagnantes voire en net recul, incarne-t-elle pour autant le seul terroir méritant en la matière ? Son habileté à surfer sur l'air du temps est incontestable. Relooking de son identité, campagne de com au cordeau, marketing étudié, moult people en guise d'ambassadeurs... : l'appellation s'est refait un nom en moins de dix ans, jusqu'à devenir numéro un dans le cœur des néophytes d'outre-Atlantique. De quoi inspirer ses voisins directs - comme le Languedoc - ou, plus au nord, des vignobles qui avaient presque oublié que le rosé méritait d'exister vraiment. « En 2018, se souvient Jérémy Arnaud, dirigeant de Terroir Manager, j'ai craint qu'une lassitude succède au rosé tendance. Il fallait pouvoir proposer d'autres rosés aux consommateurs, tout en faisant un appel du pied aux vignerons qui n'en produisaient pas encore. » C'est ainsi que naît, en 2022, le mouvement Rosés de terroirs, réunissant une soixantaine de vignerons soucieux de défendre la visibilité et la diversité de tous les rosés contemporains. En Beaujolais, Gilles Gelin (Domaine des Nugues) n'a pas guetté l'effet de mode au coin du bois avant de s'activer à la vigne, où il produisait du rosé depuis 1998. Certes, la dernière des trois couleurs n'avait rien d'une priorité par comparaison avec ses blancs et ses rouges parcellaires, mais le défi consistant à ouvrir un nouveau marché au prix d'un travail tout aussi exigeant en matière de vinification a aussitôt stimulé ses convictions. « Le but n'était pas de copier les autres, dit-il, mais de faire naître des vins dotés d'une signature - secs, tendres et précis -, pas forcément grand public. »

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La jeune génération de sommeliers et restaurateurs ne s'y trompe pas, elle qui se montre de plus en plus ouverte à la pluralité de l'offre. Peu à peu, faugères, fronton, ardèche et même sancerre en version rosé s'invitent sur la table d'adresses averties, nourrissant l'imaginaire d'une clientèle avide d'être encore surprise.

Le but était de faire naître des vins dotés d'une signature, pas forcément grand public

Jérémy Arnaud

Du côté de la grande distribution aussi, des appellations historiquement plus en retrait sur ce créneau parviennent à se faire une place au soleil. Tel est le cas notamment pour les rosés du Val de Loire, emmenés par le vaillant cabernet-d'anjou. Lorsque le prix des rosés de Provence s'est senti pousser des ailes à l'export, cet outsider a joué de son coût abordable (6,50 euros en moyenne) pour cumuler les mètres linéaires en grandes et moyennes surfaces. Portée par l'histoire des blancs, l'inter-profession peut ainsi se targuer de compter aujourd'hui 10 millions de consommateurs de rosés de Loire en France, ces derniers ayant en outre gagné 6 % de valorisation vers l'étranger entre 2022 et 2023 (les Belges et les Australiens en sont fans).

Quelques autres, enfin, se défendent mordicus de prendre le train en marche comme on sauterait sur une bonne occasion. Ainsi Arnaud Fabre, directeur général du Domaine Alexandre Bonnet aux Riceys, qui déclare : « Ce n'est pas parce que nos vins sont en phase avec la prise d'ampleur du marché que nous avons la prétention de surfer sur la tendance. » Terroir confidentiel faisant figure d'exception champenoise et jouissant de trois AOC (champagne, coteaux-champenois et rosé-des-riceys), ces hectares séculaires peuvent ne compter qu'une poignée de producteurs de rosé en fonction des années et des conditions météo. Convaincu qu'il est « beaucoup plus difficile d'élaborer un vin tranquille dans cette région », le dirigeant voit donc dans la production de son rosé de haut vol un biais tout trouvé pour démontrer un savoir-faire. De fait, il le décrit toujours comme « un vin très ancien mais éminemment moderne » dont la légitimité chromatique doit beaucoup à la topographie de cet étroit périmètre.

Déjà, pourtant, un autre front se fait jour autour du rosé et des idées reçues qu'il véhicule malgré lui. Dépitée que nombre de flacons s'écoulent façon solderie dès la fin octobre, l'association Rosés de terroirs s'intéresse de près au potentiel de garde de ces vins réputés éphémères. Après avoir « allumé la mèche », les fidèles de Jérémy Arnaud ont entrepris de créer une cave collective où recueillir crus et cuvées au vieillissement prometteur. Leur objectif : pouvoir, d'ici quelques années, offrir sur les meilleures cartes des vins d'authentiques millésimes couleur rosé.

Mise en bouteille

Belle-Rive rosé, échappé de la vigne

Qui va là ? Un dissident. Un effronté. Tom Sawyer chez les Dalton. Sa fraîcheur insolente doit autant au terroir argilo-limoneux des rives de la Dordogne qu'aux

cépages qu'il a capturés comme on piège un poisson d'eau douce. Les Robinsons de Koh-Lanta peuvent aller se rhabiller.

Empreintes digitales. Dix ans déjà que Laurent Audigay a délaissé le clairet incandescent au profit du rosé de pressée, consacrant des parcelles entières à ce qu'il nomme son « vin de détente ». Récoltés de nuit, les raisins profitent d'un pressurage direct et lent. Une fois le verre à la main, assure le vigneron, « il faut se laisser faire ». Soit !

De face et de profil. Un indéniable goût de reviens-y, stimulé par le panel aromatique mi-floral, mi-agrumé de son assemblage à la robe d'aubépine. Corpulence impeccablement maîtrisée du merlot (50 %), qui n'ose même pas faire d'ombre au malbec ou au cabernet sauvignon. On en oublie presque ses racines bordelaises, de façon totalement éhontée.

En quête de proximité. Un cours d'eau. Même en solo. Mieux : la plage du Lion à Lacanau, dos aux dunes et face à l'Atlantique.

Heure du délice. Au moindre rayon de soleil.

Meilleurs complices. Tomates ou melon, supplément jambon de Bayonne.

Garde à vue. À quoi bon ?

Règlement de comptes. 6 euros (millésime 2023).

Clos Belle-Rive
Saint-Sulpice-de-Faleyrens (Gironde)
Tél. : 06 80 75 40 76

Il y a rosé... Et rosé !

De pressée, de saignée ou de macération, le rosé joue sur les trois tableaux avant de finir dans le verre de l'estivant. N'en déplaise aux monomaniaques, il existe donc autant de rosés que de terroirs, de cépages et de climats. Petit mémo technique, mais simplifié, à l'usage des apprentis œnologues.

Le rosé de pressée bénéficie d'un pressurage direct, effectué aussitôt après la vendange. La peau des baies a juste le temps de colorer légèrement le jus en libérant ses pigments, pour donner une robe pâle, mais éclatante à ce vin très pauvre en tannins. La plupart des rosés de Provence profitent de ce mode d'extraction.

Le rosé de macération est, dans ses premières heures de vie, logé à la même enseigne qu'un vin rouge classique : les raisins noirs macèrent en cuve jusqu'à vingt-quatre heures pour libérer leurs arômes et en imprégner le jus. Une fois obtenue, la couleur désirée, celui-ci est séparé du moût. La robe des vins est généralement plus soutenue.

Le rosé de saignée s'élabore quant à lui en prélevant une partie du jus contenu dans une cuve de vin rouge peu de temps après le début de la macération. Le rosé est vinifié à part et donne des vins couleur cerise ou groseille particulièrement expressifs, de Tavel à Bandol en passant par Bordeaux.

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