Roschdy Zem : « J'étais classé parmi les enfants perdus pour la société »

ENTRETIEN - L’acteur, à l’affiche d’« Elyas », où il incarne un ancien soldat des forces spéciales, abandonne son image de mâle viril et assume sa part de fragilité.
Roschdy Zem à Paris, le 19 juin.
Roschdy Zem à Paris, le 19 juin. (Crédits : © LTD / Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche Paris)

En pleine promo à l'hôtel Brach pour le film Elyas, il enchaîne les interviews sans jamais manifester le moindre signe d'agacement - ce qui mérite d'être souligné, car tous les acteurs ou actrices ne dégagent pas systématiquement un tel enthousiasme. Il porte en lui cette bienveillance naturelle, car il n'a jamais oublié d'où il vient. Fils d'immigrés marocains, placé dans une famille d'accueil à 18 mois pour échapper aux bidonvilles de Nanterre, Roschdy Zem ne ressemble à personne. S'il a longtemps joué la carte de la virilité pour refouler ses blessures d'enfance, l'acteur césarisé a troqué le costume du mâle alpha pour celui d'un homme sensible, à la larme facile. Mais sans perdre pour autant son arme fatale de gentleman au grand cœur.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous campez un ancien soldat des forces spéciales traumatisé par son passé. Quelle est votre vision de l'armée ?

ROSCHDY ZEM - J'ai été naturalisé français à l'âge de 18 ans, donc j'ai échappé au service militaire. En revanche, comme j'ai quitté l'école à 16 ans et que je refusais d'être un poids pour ma famille, j'avais rempli un dossier pour m'engager sur une base aérienne à Nîmes. Et puis un camarade m'a proposé de travailler avec lui aux puces de Saint-Ouen et ma vie a pris un tout autre tournant.

Votre rapport à l'institution vous a entraîné dans un échec scolaire ?

Vous savez, j'étais classé parmi les enfants perdus pour la société. Mais c'est l'image que je renvoyais à l'époque, celle d'un branleur, mais jamais violent. Avec le recul, je réalise que j'étais dans une totale dépression. J'avais besoin de dormir, de ne rien faire. Je vais où, pour faire quoi, comment ? Mon mal-être se manifestait jusqu'à faire du mal à mon corps avec l'automutilation.

Vous aviez des idées suicidaires ?

Jamais. Je crois que c'est ce qui distingue ceux qui se mutilent des autres. On ne cherche pas à disparaître, mais juste à souffrir. Et en souffrant, je deviens organique parce que j'ai mal. C'est donc ce besoin de se sentir vivant qui est à l'opposé de toute forme de désir de mettre fin à ses jours.

Vous vous êtes toujours senti en marge de la famille ?

Je suis le seul de ma fratrie à avoir été placé dans une famille d'accueil flamande. N'y voyez là aucun pathos, mais on vivait dans les bidonvilles à Nanterre, sans eau, sans électricité. Le Secours catholique a proposé à mes parents de les soulager d'un enfant le temps que leurs conditions de vie s'améliorent. Et c'est tombé sur moi. C'était plus facile de placer un bébé de 18 mois qu'une enfant de 4 ans. Dès que ma famille a eu accès à une HLM à Drancy, je suis retourné dans ma famille. J'avais 8 ans et connu un début de vie avant elle.

Vous avez eu du mal à trouver votre place au sein de la fratrie ?

Mes deux frères et ma sœur me considéraient comme un extraterrestre. J'étais le seul à ne pas parler français et arabe, car ma famille adoptive me parlait en flamand et m'avait éduqué dans la culture catholique pratiquante. Pour la petite anecdote, je porte la médaille de la Sainte Vierge de ma grand-mère adoptive. Ensuite, j'ai rejoint ma famille d'obédience musulmane et c'est devenu ma culture.

Je comprends que les Français qui se sentent perdus votent RN, même si je considère qu'ils sont dans l'erreur

Roschdy Zem

Quand on retrouve sa mère biologique à l'âge de 8 ans, ça se passe comment ?

Ça se passe que j'ai, probablement inconsciemment, vécu chez elle jusqu'à mes 25 ans. Si je n'avais pas rencontré cette fille dont je suis tombé éperdument amoureux et qui m'a poussé à quitter ma chambre d'ado, j'y serais resté bien plus longtemps ! [Rires.] C'était un bonheur de vivre avec ma mère, et je m'en fichais royalement de passer pour un fils à maman.

Vous rencontrerez plus tard la mère de vos deux enfants, une psychanalyste de confession juive. Un bel exemple du vivre-ensemble dans cette France en plein chaos...

C'est quelque chose dont je n'ai jamais douté. Malheureusement, les chaînes d'info nous martèlent à longueur de journée que le problème, c'est l'autre. Et l'autre, c'est souvent le musulman. Je comprends que les citoyens français qui se sentent complètement perdus, abandonnés, décident de voter RN, même si je considère qu'ils sont dans l'erreur. Mon fils de 23 ans, pourtant très privilégié, m'a dit l'autre jour : « Papa, il faut se mettre à leur place. Regarde la situation telle qu'elle est aujourd'hui à travers les médias, les politiques. » Il a tellement raison. Aujourd'hui, Éric Zemmour peut dire sans aucun complexe que l'islam n'est pas compatible avec la République. C'est d'une violence inouïe pour les plus démunis, ceux qui subissent les discriminations à l'embauche, au logement. Et en plus, on leur dit qu'ils sont antisémites. Je les trouve étonnamment calmes par rapport à la situation qu'ils subissent.

Si vous êtes devenu un acteur incontournable du cinéma français, votre enfance chaotique ne vous rattrape-t-elle pas parfois ?

Vous savez, rien de ce qui m'arrive ne me paraît normal. Tout ce que je vis est extraordinaire, au sens littéral. Systématiquement, je tombe des nues quand un réalisateur vient me chercher. Jusqu'au dernier moment, je me dis qu'il changera d'avis, car il a surestimé ce que je pourrai lui apporter. Donc j'avance avec beaucoup de doutes sur mon potentiel.

C'est l'une des raisons pour lesquelles vous avez cessé de véhiculer cette image du mec sombre, voire macho ?

Absolument, parce qu'à mes débuts, il y avait deux types de rôles auxquels je pouvais prétendre. Soit celui du torturé, ténébreux, soit celui du clown de service. Et je ne voulais pas être le clown de service ! À la fin des années 1990, la plupart des jeunes comiques étaient issus de la diversité, car c'était ce que l'on attendait d'eux. Aujourd'hui, les mœurs ont évolué positivement. Et puis je dois dire que les codes de l'homme ont aussi changé grâce aux regards de femmes dans le cinéma. La virilité d'un Ventura ou d'un Gabin est obsolète. Un acteur doit pouvoir aussi montrer ses failles à travers une vulnérabilité qui peut l'amener même à pleurer.

C'est comment, le dimanche de Roschdy Zem?

Il commence par une séance de sport, se poursuit par un déjeuner avec ma fiancée et/
ou nos enfants respectifs. Puis l'après-midi, c'est souvent une séance cinéma.

SES COUPS DE CŒUR

Amateur de cuisine italienne, Roschdy se sent comme à la casa à La Cantina. Lorsqu'il n'est pas acteur et réalisateur, il s'évade avec les livres de Leïla Slimani - « je suis en train de lire Regardez-nous danser » - ou avec le répertoire de Bruce Springsteen - « j'ai toujours eu une admiration sans faille pour le Boss. Donc, ça continue et ça continuera ».

La Cantina, 81, avenue de Ségur (Paris 15ᵉ)

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Commentaire 1
à écrit le 30/06/2024 à 10:58
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De temps en temps le spectacle intègre en effet de véritables gens qui en ont bavé et qui font bien souvent de bons artistes en effet mais c'est quoi le pourcentage ? Le nombre de fils de est affolant dans ce milieu là autant sinistré que le milieu d...

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