Rentrée littéraire : les fantaisistes résurrections de David Foenkinos

Dans une ode à la bifurcation, David Foenkinos dévoile un moyen, évidemment farfelu, pour atteindre le bonheur.
(Crédits : © Francesca_Mantovani/GALLIMARD)

Les changements de vie tiennent parfois à des souvenirs ténus. Dans La Vie heureuse, David Foenkinos met en scène, comme il sait si bien le faire, des personnes ordinaires dont hasards et rencontres souvent inattendues font dévier les existences.

Lire aussiCinéma : poésie loufoque et rafraîchissante

Sur la photo de classe de terminale, on ne voyait qu'Amélie, son pull rouge et son grand sourire. Éric, discret, était au dernier rang. Ils n'étaient pas amis, n'avaient jamais vraiment discuté. Pourtant, vingt-cinq ans plus tard, Amélie resurgit via le groupe Facebook des anciens du lycée Chateaubriand de Rennes pour lui proposer un travail. D'un côté, donc, Éric. Après une école de commerce, il a gravi tous les échelons de l'enseigne de sport Decathlon. Sur la photo du réseau social où elle le retrouve, « il souriait d'une manière détachée, comme un homme en vacances de lui-même ». Sa vie est sans aspérité : bon collègue, bon chef, bon fils. Lui, qui trimballe sa « lassitude à vivre » et un physique qui « avait pris la trajectoire d'un renoncement », s'étonne donc lui-même quand il décide de démissionner pour rejoindre Amélie. Elle avait rapidement quitté la Bretagne pour de brillantes études parisiennes. Tout semble parfaitement maîtrisé dans la vie de celle qui est devenue directrice de cabinet d'un ministre. La jeune femme dégage une « sorte de puissance solaire » et « aborde la quarantaine tel un rendez-vous avec l'apogée de sa sensualité », écrit David Foenkinos, dont on retrouve avec plaisir la plume espiègle mais qui abuse cependant parfois de son sens indéniable de la formule. Amélie, en quête d'un bras droit issu de la société civile, va donc fouiller dans son passé breton pour y chercher cet ancien camarade de lycée. Le tournant, pour Éric, le roman et le lecteur, est un voyage professionnel à Séoul. Sans doute grâce à l'effet Lost in Translation, la glace s'est brisée entre les deux collègues. Pourtant, Éric replonge dans ses doutes existentiels, brutalement, en pleine rue. « Plus Éric observait le mouvement autour de lui, plus il ressentait physiquement une sorte de paralysie de son existence. » Son regard est alors attiré par les néons rouges de Happy Life, « vie heureuse », une société qui organise de fausses funérailles.

L'auteur conserve son acuité à saisir l'époque en évitant tout cynisme

On croirait l'idée sortie de l'imaginaire fantaisiste de l'auteur du génial Potentiel érotique de ma femme, pourtant ces entreprises existent réellement en Corée du Sud. Alors que le pays a un taux élevé de suicide, de plus en plus de Coréens vivent de manière anticipée leur propre enterrement afin de méditer sur le sens de la vie. Lors d'une séance d'une heure, ils choisissent la photo pour leur tombe, écrivent leur épitaphe, voient leur pierre tombale avec la saisissante mention des dates de naissance et de mort et entrent dans leur cercueil. Éric tente l'expérience - ce qui donne des pages très drôles - et sort bouleversé par une « hégémonie totale du maintenant » qui « chasse le passé et l'avenir ». Fini la dépression, vive le stoïcisme version développement personnel ! Il décide de tout changer et se donne une seconde chance, comme si « s'allonger dans un cercueil pouvait ainsi modifier une trajectoire humaine ».

Derrière la fantaisie, David Foenkinos conserve son acuité à saisir l'époque en évitant tout cynisme. Particulièrement dans ce roman plus sérieux qu'il n'y paraît, où il évoque aussi bien la dépression que l'épuisement du couple ou l'injonction à réussir sa vie. La force de ses personnages, couplée à l'inventivité de l'intrigue, permet d'éviter l'écueil du catalogue de thèmes d'actualité. La Vie heureuse est un livre tendre, plein de rebondissements. On ne boude pas notre plaisir à suivre les chemins sinueux qu'empruntent ces antihéros. Et on aimerait croire qu'une bifurcation suffise pour que la vie soit heureuse comme dans un roman de David Foenkinos. Finalement, s'allonger dans un cercueil pourrait être une très surprenante - mais efficace - méthode pour ne pas finir tout de suite au cimetière.

LA VIE HEUREUSE, David Foenkinos. Gallimard, 208 pages, 19 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.