Radio : Jérôme Garcin rend le « Masque » mais pas la plume

Après trente-cinq ans d’antenne, l’écrivain et critique littéraire de 67 ans présentera pour la dernière fois ce dimanche la célèbre émission de France Inter. Avant de se consacrer à l’écriture.
L’enregistrement de la dernière émission du « Masque et la Plume » présentée 
par Jérôme Garcin, le 22 décembre.
L’enregistrement de la dernière émission du « Masque et la Plume » présentée par Jérôme Garcin, le 22 décembre. (Crédits : © Edouard Brane)

Vendredi 22 décembre, jour le plus court de 2023. Mais pas pour Jérôme Garcin, qui enregistre ce soir-là son ultime Masque et la Plume. Sa der des ders aux commandes de cette institution radiophonique lancée en 1955 et dont il a hérité en 1989. Haut les cœurs. À 20 heures tapantes, dans le studio 104 de la Maison de la radio plein à craquer, La Fileuse de Mendelssohn - son générique depuis 1978 - retentit, guilleret et sautillant. Le journaliste, lui, fend l'armure : « Ce n'est pas facile après quelque 1 900 épisodes de quitter cette émission qui se confond avec ma vie. »

La suite, vous l'entendrez ce dimanche à 10 heures et à 20 heures sur France Inter. Avec en bonus dans le dernier quart d'heure un très élégant passage de témoin à Rebecca Manzoni, qui lui succédera dès le 7 janvier. Dans les travées, après de longues minutes d'ovation ponctuées de « Bravo », « Merci Jérôme » et de larmes de l'intéressé, certains spectateurs peinent à masquer leur émotion. « C'est une page qui se tourne », souffle François, un quadragénaire qui n'aurait loupé sous aucun prétexte ses adieux. « Sa voix a bercé mon enfance, c'est une madeleine. J'écoutais cette émission dans la voiture avec mes parents. J'adorais déjà son côté théâtral ! »

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Car le Masque, comme l'appellent ses fidèles, est un objet radiophonique unique, à mi-chemin entre le concours d'éloquence et le salon littéraire. « C'est ce qui explique sa longévité, nous confie Jérôme Garcin. Quand j'ai repris la présentation, Georges Charensol [qui fut l'un des plus illustres critiques de l'émission] m'a dit : "Garde en tête que c'est avant tout un spectacle." Toux ceux qui montent à la tribune ont une incroyable faconde et brillent grâce à leur rhétorique. C'est Cyrano chaque semaine ! J'ai discuté récemment avec des Américains qui m'ont dit que ça serait inimaginable chez eux de s'écharper ou s'émouvoir de la sorte pour un film, un livre ou une pièce de théâtre. [Rires.] » Figure de cette grand-messe culturelle depuis trois décennies, le journaliste cinéma Pierre Murat confesse que l'exercice se révèle en réalité diablement impressionnant. « Je me demande à chaque fois pourquoi j'ai accepté, s'amuse le retraité, que l'on peut toujours lire sur le site de Télérama. Il m'arrive de boire un petit verre de vin blanc avant pour me détendre. Quand le générique retentit, c'est comme au théâtre avec les trois coups. On entre en scène et on joue un rôle, en essayant d'être le meilleur possible ».

Des commentaires sans filtre

Autre ingrédient qui fait le sel du programme : sa liberté de ton, qui n'a pas varié d'un iota depuis l'arrivée de Jérôme Garcin. « La critique culturelle est pourtant devenue extrêmement complaisante et consensuelle dans son immense majorité, déplore le journaliste. Il y a également beaucoup plus de pressions qu'avant, en raison de la multiplication des partenariats avec les médias. » Mais pas au Masque et la Plume ! Dernier exemple en date : le 3 décembre, avec Napoléon de Ridley Scott. Ce jour-là, ce film estampillé France Inter se fait descendre - c'est un euphémisme - à l'antenne. « Ce n'est pas un film Inter, c'est un film inter... minable », s'amuse même Éric Neuhoff du Figaro.

Ces commentaires sans filtre et parfois très acerbes ont pu blesser ceux à qui ils étaient adressés, reconnaît Jérôme Garcin. « Il y a plein d'auteurs qui m'en veulent à mort. Écrivant moi-même des livres, j'ai conscience des blessures que l'on peut infliger quand une œuvre est attaquée par des critiques éloquents devant un public riant de bon cœur. Mais si j'avais tenté d'amoindrir cela, j'aurais tué Le Masque et la PlumeUn véritable sacrifice, donc, pour cet homme « sensible et terriblement pudique », comme le définit la journaliste littéraire Patricia Martin, historique du programme. « Il est affable et a un humour désopilant. Mais en même temps, il a un côté sauvage et est très intimidant lorsque vous le rencontrez pour la première fois. Là où il se confie le plus, c'est dans ses livres. »

Prendre davantage de temps pour écrire, c'est d'ailleurs l'une des principales raisons qui l'ont conduit à tirer sa révérence. « J'ai été au micro 52 dimanches par an pendant trente-cinq ans sans jamais être une seule fois malade ! C'était un travail de dingue car je lisais et voyais tout ce dont on parlait. J'ai compris récemment que j'étais alourdi par cette charge et que j'en payais le prix. Je ne voulais pas non plus faire les quatre ou cinq années de trop. L'émission est en pleine forme [ses deux diffusions le dimanche réunissent au total 2 millions d'auditeurs]. C'était le bon moment pour passer le relais. » Adieu également la direction des pages culturelles de L'Obs, où il continuera toutefois de tenir chaque semaine un bloc-notes. Quant aux thèmes de ses deux prochains livres, en préparation, impossible de le savoir. « Je suis superstitieux, je ne le dis jamais ! Mais ça ne sera pas dans le domaine de la sphère intime, comme j'ai pu le faire avec Mes fragiles Un récit extrêmement personnel paru en début d'année chez Gallimard dans lequel il revenait, entre autres, sur la disparition de sa mère et de son frère cadet, atteint d'une maladie génétique héréditaire. « J'ai besoin de temps pour m'occuper des miens, glisse-t-il. J'ai une femme que j'aime, trois enfants et suis un grand-père radieux. Je sais combien les existences sont brèves et toujours un peu menacées. »

Le « Masque et la Plume » en quatre dates

1955 Création du « Masque et la Plume » par Michel Polac et François-Régis Bastide

1982 Pierre Bouteiller prend la direction de l'émission

1989 Jérôme Garcin en prend les rênes ; il sera au micro 52 dimanches par an pendant trente-cinq ans

2024 Rebecca Manzoni lui succède

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