Mourad Merzouki, le marathonien du hip-hop

Alors que le breakdance fait son apparition aux JO, le chorégraphe issu des danses urbaines multiplie les créations. Il est aussi l’auteur de la chorégraphie de l’équipe de France de natation synchronisée.
Alexis Campion
Le chorégraphe avec l’équipe de France de natation synchronisée en décembre à l’Insep, à Paris.
Le chorégraphe avec l’équipe de France de natation synchronisée en décembre à l’Insep, à Paris. (Crédits : © LTD / JULIEN DE ROSA/AFP)

C'est parti ! Le compte à rebours des JO est lancé, L'Olympiade culturelle, série de spectacles labellisés Paris 2024, bat son plein... De fait, l'agenda de Mourad Merzouki, enfant du hip-hop devenu directeur du Centre national chorégraphique de Créteil de 2009 à 2022, déborde. Figure emblématique, ces trente dernières années, de l'avènement du breakdance en danse contemporaine, le chorégraphe est aujourd'hui l'un des plus di usés en France et dans le monde avec Angelin Preljocaj. Après son mandat à Créteil, il est retourné vivre à Bron, près de Lyon, où il a été pressenti en 2022 pour diriger la Maison de la danse et où il travaille en indépendant. Il y a notamment lancé la transformation d'une vaste friche (la Ferme Berliet à Saint-Priest) en une Cité d'art où sa compagnie pourrait bientôt poser ses valises.

« J'exerce un métier de funambule, avec pour moteur la peur que tout s'arrête demain »

Ce n'est pas encore gagné - il lui manque encore 750 000 euros pour boucler son budget - mais Merzouki n'en doute plus : « Le hip-hop occupe aujourd'hui une place totalement légitime dans la danse. La preuve, beaucoup de chorégraphes contemporains l'utilisent alors qu'on nous a longtemps jugés trop divertissants, faciles ou limités. Sans sortir des conservatoires, nous avons apporté du neuf et appris à nous affirmer tout en accédant à l'art. C'est ça que je veux montrer au monde, pas des voitures qui brûlent. »

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Une conviction qui, peut-être, l'oblige à une sorte de fuite en avant ? « Il est vrai que je réponds à de nombreuses commandes et passe pour un boulimique. Mais que voulez-vous, j'exerce un métier de funambule, avec pour moteur la peur que tout s'arrête demain et la responsabilité de continuer à faire travailler mes équipes, et donc de garder le rythme. » Côté scène, sa compagnie Käfig (neuf permanents, une cinquantaine d'intermittents danseurs et techniciens à l'année) s'autofinance actuellement à hauteur de 50 % et ne chôme pas. Début juin, elle signait le plus grand défi lé hip-hop jamais imaginé au musée d'Orsay. Au théâtre Le 13e Art, à Paris, ce sont deux de ses spectacles phares qui sont repris ces jours-ci, Zéphyr, issu d'une commande du Vendée Globe Challenge, et Boxe Boxe Brasil, créé en 2010 avec le Quatuor Debussy, de son aveu l'un de ses ballets les plus personnels : « Je me suis construit avec la pratique de la boxe américaine avant la danse. »

Fin juillet, alors que ses ultimes collaborations avec les orchestres baroques de William Christie et Julien Chauvin (The Fairy Queen et Les Quatre Saisons) tournent toujours, c'est au festival Les Nuits de Fourvière que le chorégraphe créera l'événement. Sur des musiques du groupe d'électrotango franco-argentin Gotan Project, il dévoilera Beauséjour, ballet fort de ses 14 danseurs et de son sujet pour le moins inhabituel dans l'univers hip- hop, irrémédiablement associé à la jeunesse et à la vivacité des danseurs : le vieillissement des corps. « J'ai eu envie de travailler ces questions car elles me traversent moi-même, explique Merzouki. J'ai 50 ans et, je le sens, mon corps n'a plus la même énergie. Alors j'ai voulu m'amuser avec ça, jouer d'un effet trompe-l'œil avec une troupe d'interprètes jeunes pour aborder le ralentissement, la maladie, la finitude, la transmission... »

Pour cette exploration sans précédent, révélatrice d'une certaine banalisation du hip-hop, qui s'empare de grands sujets de société, Merzouki admet avoir préféré miser sur des corps jeunes « pour des raisons techniques et logistiques évidentes ». On ne se refait pas. S'il a prouvé depuis belle lurette qu'il pouvait convaincre des publics de tous âges et faire des étincelles en collaborant avec des orchestres jouant Schubert ou Vivaldi, le courant singulier incarné par Merzouki ne reste pas moins né de la rue et de la performance sportive, qui le lui rend bien. Le comité Paris 2024 lui a ainsi commandé, l'hiver dernier, la conception d'une très officielle « Danse des Jeux »... somme toute plus symbolique que virale sur les réseaux sociaux.

Car cette année, pour la première fois, le breakdance devient une discipline aux Jeux
olympiques et, autre grande nouveauté dans son parcours, Mourad Merzouki signe le ballet d'une autre danse sportive en compétition : celle de l'équipe de France de natation artistique... « C'est un vrai défi car les nageuses jouent leur place sur le podium et moi, je dois imaginer une chorégraphie synchronisée dans un bassin de 3 mètres de profondeur. Mais c'est plaisant, justement, de combiner compétition internationale et challenge artistique. » Que le breakdance devienne une discipline aux JO ne le gêne aucunement : « Bien sûr, la compétition induit une notation et un cadre contraint avec des codes plus ou moins figés, reprend le danseur. C'est ce que je découvre avec Julie Fabre et son équipe de nageuses, et c'est très déstabilisant. Mais ce n'est pas non plus l'art contre le sport, au contraire. Je crois au partage avant tout. Nos approches gagnent à être complémentaires, à dresser des ponts. »

Autant de rencontres qui, insiste-t-il, l'aident à « [s]e renouveler sans [s]e répéter ni
verser dans le réchauffé ». « Avant l'âge de 18 ans, je n'avais jamais mis les pieds dans un théâtre, confie-t-il. Depuis, je n'ai jamais cessé de rattraper ce qui m'avait manqué petit en apprenant des autres, en collaborant avec des univers qui ne sont pas celui de la danse hip-hop mais ont le pouvoir de nous faire grandir. »

POLÉMIQUE : LE BREAKDANCE PEUT-IL ÊTRE ACADÉMIQUE ?

Devenue une discipline olympique, la danse hip-hop, ou breaking, pourrait-elle
faire son entrée dans les conservatoires nationaux ? Le 7 mars, l'Assemblée nationale votait la loi 1149, qui prévoit l'instauration d'un diplôme d'État pour enseigner cet art né dans le Bronx au milieu des années 1970. Pour l'heure, la dissolution de l'Assemblée nationale a renvoyé aux calendes grecques l'adoption définitive du texte porté par les députées Fabienne Colboc (Renaissance) et Valérie Bazin-Malgras (Les Républicains).

Loin de faire l'unanimité, cette loi a suscité une levée de boucliers des professionnels de la danse hip-hop. Des collectifs se sont mis en place, comme Les Assises de la culture hip-hop ou Non à la loi 1149. Ils dénoncent un manque de concertation et l'institutionnalisation à marche forcée d'une discipline axée sur l'autoformation et l'horizontalité. Autre grief, le volet contraignant de la loi qui impose l'obtention d'un diplôme bac+3, avec une formation payante (entre 1 200 et 7 000 euros), pour enseigner la danse hip-hop, exposant les professeurs non diplômés à des sanctions financières. « Nous, on vient d'un cercle et on veut nous faire entrer dans un carré », résume Nabil Quintessence, pionnier de la danse hip-hop en France. Difficile de structurer un mouvement artistique qui s'est toujours affranchi des codes. E.M

Alexis Campion

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