Livres : la sélection poche de l'été

« Les ingénieurs du chaos », de Giuliano da Empoli, « Le Maître de Ballantrae », de Robert Louis Stevenson, « Croire aux fauves », de Nastassja Martin : découvrez notre sélection de livres de poche pour l'été.
LES INGÉNIEURS
DU CHAOS, Giuliano da Empoli, Folio Actuel, 240 pages, 8,30 euros.
LES INGÉNIEURS DU CHAOS, Giuliano da Empoli, Folio Actuel, 240 pages, 8,30 euros. (Crédits : /)

Prémonitoire

« Législatives : "Les Ingénieurs du chaos", le livre qu'on s'arrache pour comprendre le score du RN », titrait il y a un mois un quotidien.

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« Le récit-essai de Giuliano da Empoli, l'auteur du Mage du Kremlin, paru il y a plusieurs années, connaît un regain des ventes depuis le triomphe du Rassemblement national aux européennes », continuait notre confrère. La vie éditoriale des Ingénieurs du chaos est, il est vrai, pour le moins singulière. À sa parution, en 2019, l'essai a été salué par la critique et dévoré par les amateurs de politique. L'auteur y raconte comment les nationalistes populistes, de Beppe Grillo en Italie à Dominic Cummings, le directeur de campagne du Brexit, inventent une nouvelle propagande à l'ère des selfies, de la data et des vérités alternatives. « Pour combattre la vague populiste, il faut commencer par la comprendre », estime l'écrivain.

Le Mage du Kremlin a ensuite été perçu comme prémonitoire de l'invasion de l'Ukraine et utilisé comme clé de compréhension de la psyché de Poutine. Ce premier roman a donné une nouvelle vie, trois ans plus tard, à son récit-essai. À droite comme à gauche ou dans le camp présidentiel, tous les politiques, à commencer par le locataire de l'Élysée, disent avoir lu Les Ingénieurs du chaos ou rencontré l'auteur. Ce dernier ne dévoile jamais qui il a vu et ne prétend pas susurrer à l'oreille des dirigeants qui le sollicitent. Il se rassure même en disant qu'il n'est pas certain que ces derniers l'écoutent vraiment. Mais le titre du livre est une expression entrée dans le langage courant. Une belle reconnaissance. A.M

Les Ingénieurs du chaos
Giuliano da Empoli, Folio Actuel, 240 pages, 8,30 euros.

Un duel fratricide

S'il n'est pas le plus connu des romans de Stevenson, Le Maître de Ballantrae est pourtant peut-être son chef-d'œuvre.

Ils sont tous d'accord. De Henry James à Jean Echenoz en passant par Brecht, Gide ou Artaud (qui voulut l'adapter au cinéma et écrivit pour cela un scénario) ; tous à travers les âges réunis pour considérer que Le Maître de Ballantrae, bien plus encore que L'Île au trésor ou L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, est sans doute la plus aboutie des œuvres de Robert Louis Stevenson, la plus constitutive de la formidable complexité de son génie de romancier. Sa récente réédition en collection de poche 10/18 incite donc le lecteur désireux de s'éloigner un temps, celui des vacances, des miasmes de l'actualité littéraire à aller y voir par lui-même.

De fait, ce n'est pas rien. Une sorte de cathédrale gothique et romanesque élevée au culte des passions fratricides. Écosse, 1745. Dans un pays déchiré par la guerre opposant l'armée loyaliste de George II aux rebelles dits jacobites (car partisans de Jacques Stuart), les échos du conflit se font entendre jusqu'au manoir des Durrisdeer. D'un côté le flamboyant « Maître de Ballantrae », James, libertin, ambitieux, immoral et charismatique. De l'autre, son cadet, Henry, plus modéré et vertueux. Emporté par ses rêves de gloire et de conquête, James prend le parti des rebelles. Mal lui en prend car ceux-ci sont bientôt écrasés et, s'il survit par miracle, ce ne sera plus que par la haine qu'il voue désormais à son frère qu'il considère comme un imposteur.

Au début, Henry en prendra bravement son parti avant de basculer à son tour dans la colère. Ni oubli ni pardon, tout cela se terminera par une scène sublime et tragique de duel, « climax » émotionnel du livre, au cœur de la forêt américaine des Adirondacks. La maestria avec laquelle Stevenson mène son affaire est inouïe. C'est, bien sûr, un immense roman d'aventures, mais aussi, plus secrètement, un traité des passions mauvaises. Stevenson, ici, c'est Dumas et Stendhal réunis. O.M

Le Maître de Ballantrae, de Robert Louis Stevenson, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Théo Varlet, 10/18, 312 pages, 8,30 euros.

En chair et en ours

Où une anthropologue spécialiste de l'animisme raconte la subtile métamorphose qui s'opère en elle à la suite de sa rencontre avec un ours.

C'est ce qu'on appelle se confronter à son sujet. Le 25 août 2015, dans les montagnes du Kamchatka, l'anthropologue Nastassja Martin se retrouve face à un ours qui la mord au crâne, au visage et à la jambe avant de fuir ses coups de piolet. Dès lors, pour elle, « les frontières entre les mondes implosent » et le verbe n'est pas trop fort : Nastassja Martin, spécialiste du peuple évène et de ses croyances animistes, raconte ici l'expérience violente et mystique qui a fait d'elle, pour les habitants de la région, une « miedka », une femme liée à la figure de l'ours. Elle y mêle le récit de sa convalescence (sa bouche devient un champ de bataille où s'affrontent les médecines russe et française), les descriptions de ses rêves (où des chasseurs deviennent à la fois oiseaux et poissons) et ses réflexions imprégnées d'une pensée aux antipodes de la raison occidentale (pour les Évènes, des « présences multiples » peuvent « habiter un même corps »).

En somme, elle lance tous ses filets pour saisir les ineffables transformations opérées en elle par la rencontre. Le résultat est à la fois limpide et d'une radicale étrangeté, à l'image des répliques de ses amis nomades (« Tu es le cadeau que les ours nous ont fait en te laissant la vie sauve »). D'un côté, l'anthropologue nous montre que seul l'animisme peut saisir tout ce qui la traverse, même si ces vérités-là ont été approchées par la littérature. De l'autre, ce « système de significations et de résonances » finit par menacer sa santé mentale. Et l'on se dit qu'au fond l'autrice n'a pas attendu l'ours pour cheminer entre deux mondes, que l'événement n'a fait que consacrer, sur un plan métaphysique, une situation qu'elle vivait déjà en corps et en esprit, à force de recherches sur le terrain auprès des Évènes ou des Gwich'in d'Alaska.

« Enfants nous héritons des territoires qu'il nous faudra conquérir tout au long de notre vie », dit-elle. En ce sens, ce livre est bien l'histoire de la conquête, par les mots, d'une expérience indicible, préparée sans le savoir au cours de toute une existence. A.B

Croire aux fauves, de Nastassja Martin,
Folio, 160 pages, 7,80 euros.

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