LIEUX D'INSPIRATION (4/6) - « Paris, j’y suis revenu toute ma vie » (Giuliano da Empoli)

À la rencontre d’écrivains sur leur lieu de création. Cette semaine, avec un romancier italo-suisse à la fois chez lui et pas chez lui dans la capitale.
L’essayiste début juin, rue Suger dans le 6e arrondissement de la capitale.
L’essayiste début juin, rue Suger dans le 6e arrondissement de la capitale. (Crédits : © LTD / Lucas Barioulet pour La Tribune Dimanche)

C'est grâce à Italo Calvino que Paris s'est imposé. Giuliano da Empoli nous raconte que l'écrivain italien disait qu'il avait « une maison de campagne à Paris ». « Un endroit stimulant mais où il trouvait le recueillement pour écrire et où on lui fichait la paix par rapport à l'Italie ; pour moi, ça a été un peu comme cela au départ », poursuit le romancier alors que nous le retrouvons près de la station Saint-Michel à quelques jours de l'été, sous un ciel gris et plombé à tous points de vue. « Je venais du tumulte de la politique italienne et j'ai trouvé un certain calme à Paris. Mon précédent livre a été écrit ici. Le Mage du Kremlin aussi, en partie. »

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Ce dernier, succès critique et public, raconte la vie de Sourkov, conseiller, stratège et éminence grise de Poutine. Avant ce premier roman, le jeune quinquagénaire s'est occupé de la culture à la mairie de Florence, a conseillé le chef de gouvernement Matteo Renzi, dirigé un think tank et écrit Les Ingénieurs du chaos, essai devenu le livre de chevet de nombreux politiques. Alors que la France est en plein marasme politique, il se questionne, du haut du rooftop de l'hôtel où nous réalisons l'entretien, sur le comportement présidentiel. Il se demande comment la France pourra échapper à cette tentation de l'illibéralisme qui a touché l'Italie tout comme de nombreux pays et s'en désole. Il interroge les différents scénarios possibles et nous sourit.

La France a « quelques anticorps de plus pour résister », veut-il croire. Il sourit, beaucoup. Des yeux aussi. Il regarde le monde d'un œil souvent amusé, gardant toujours une certaine distance, un flegme devant ce qui nous panique, l'élégance de ne pas être catastrophé. On lui dit qu'on admire son « réalisme non désespéré ». Il approuve la formule. Elle lui va bien. On le croirait sorti d'un roman de Zweig, campant un personnage d'intellectuel européen curieux et touche-à-tout comme savait en créer le début du siècle précédent. Et surtout, il n'est... jamais où on l'attend. D'ailleurs, quand on lui téléphone, même s'il est en France, résonne la sonnerie des appels reçus à l'étranger. « Je n'ai pas de numéro français et toujours mon portable italien ! Cela correspond probablement à cette condition que j'aime qui est d'être toujours un peu en décalage. Je suis ici à la fois chez moi et pas chez moi. J'ai un lien fort avec cette ville, mais en même temps je n'ai pas la nationalité française et ne me reconnais pas tout à fait comme Parisien. »

Assis en face de nous, il enlève enfin son bonnet, regarde la faune branchée qui nous entoure dans le café de cet hôtel du 6e arrondissement. Il répète souvent « ici » dans la conversation tandis que son quotidien est plutôt « là-bas ». Il revient de Montevideo, est passé par un festival à Londres après un crochet par Madrid quelques heures avant que l'on se retrouve à deux pas de chez son éditeur, près du jardin du Luxembourg, non loin... de ses bases : « Paris reste le barycentre de mes pérégrinations. J'ai emménagé ici il y a quelques années, quand j'ai décidé de me consacrer pleinement à l'écriture. Car Paris est l'un des endroits au monde où on peut encore faire le mieux semblant que les livres sont importants. Surtout quand on aime la politique et la littérature, des domaines en perte de vitesse un peu partout. Paris reste l'une des villes où on continue à vivre versé dans cette ambiance. » Aurait-il un tempérament nostalgique ? « J'ai habité à Paris quelques années quand j'étais petit. J'y suis revenu toute ma vie et toujours dans ce quartier. » Lui qui adore se promener dans le centre de la ville a renoncé à nous accompagner cette fois à cause d'un gros rhume et d'une pluie persistante.

Paris est l'un des endroits au monde où on peut encore faire le mieux semblant que les livres sont importants

Nous resterons donc sédentaires. Parmi ses lieux d'écriture, raconte-t-il, la Suisse (il est italo-suisse) ou encore un hôtel de Bruxelles, un peu Art déco et décati, qui n'existe plus aujourd'hui, où il s'est réfugié pour écrire une partie du Mage du Kremlin. « J'aime bien être seul dans un endroit où je peux sortir le soir », dit-il. Un ange passe... « Cela me rappelle cette image magnifique de Michaux qui me correspond assez : "un ermite qui connaît les horaires des trains". » Décidément, la sédentarité est une préoccupation pour lui. « J'ai traversé les mondes plutôt que de leur appartenir complètement. J'ai fait de la politique sans être politicien, donné des cours à l'université sans être universitaire, j'écris dans des journaux sans être journaliste. Le handicap, c'est que tu n'as jamais un sentiment d'appartenance à une communauté, mais l'avantage est que tu peux établir des passerelles, confronter des choses, apporter des éléments d'un monde à un autre. Même d'une langue à l'autre ! » Son français est parfait avec un phrasé plus lent qu'en italien. Il écrit indifféremment dans l'une ou l'autre des langues. Son premier essai, publié en Italie à l'âge de 22 ans, a eu un gros succès. Il a attendu vingt-cinq ans pour écrire un premier roman : « Un aboutissement. » Et peut-être, ajoute-t-on, une façon de faire mentir le titre du premier livre ? Un titre en forme d'épitaphe de notre génération : Un grand avenir derrière nous. « Ce qui est miraculeux avec la fiction, c'est que même les parties de ta vie que tu considères comme n'ayant pas été à la hauteur de l'énergie dépensée, voire un peu inutiles - les années en politique, pour moi -, le miracle de la fiction les convertit en quelque chose de bien. »

Patiemment, il se lève, plusieurs fois, pour fermer une porte qui s'ouvre sans cesse, laissant passer l'air froid et un rayon de soleil bien timide comme l'est notre question sur l'Italie et le prochain roman. « Je ne sais pas si j'aurai le temps et la force de faire un roman sur l'Italie mais ce ne sera pas le prochain. Il y aura cependant une lente progression vers l'Italie et moins de Russes, quelques Italiens et des gens un peu déracinés. J'ai un rapport aux lieux qui est très fort et il y en aura davantage. Ce sera un livre plus nomade. »

Le nomadisme comme assurance d'être libre finalement, lui dit-on. « Ce n'est pas un concept abstrait ! La liberté a un sens concret pour moi. C'est quand je me réveille chaque matin, pouvoir me demander si ma journée me plaît et si j'ai la liberté de la changer. Cet exercice assez quotidien de la liberté est la seule chose que j'ai vraiment voulue dans ma vie. La politique ne le permet pas, la presse non plus. Finalement, l'écriture est la chose qui, pour moi, se rapproche le plus de l'exercice de la liberté. » Au moment de nous quitter, nous lui demandons ce qu'il fait dans les prochains jours. Il part en Suisse. Peut-être. Avant de revenir à Paris, cette « ville-maison de campagne » qui abrite sa liberté.

Lieux d'inspiration
La semaine prochaine, pour le quatrième épisode de notre série, retrouvez Brigitte Giraud à Lyon.

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