LIEUX D'INSPIRATION (2/6) - Joël Dicker : « Porter l’étendard d’écrivain suisse et genevois »

À la rencontre d’écrivains sur leurs terres de création. Cette semaine, le romancier nous fait visiter Genève, personnage à part entière de son dernier livre.
Le romancier en mai, à Genève devant le lac Léman.
Le romancier en mai, à Genève devant le lac Léman. (Crédits : © LTD / VINCENT BOISOT POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

L'office de tourisme de Genève devrait le recruter. Lorsque nous rencontrons Joël Dicker dans sa ville natale, la France est noyée sous des trombes d'eau. Mais à peine passé la frontière, le soleil brille, le ciel se fait azuréen et les montagnes se reflètent dans l'onde pure du lac Leman. « C'est la première fois que vous venez ici ? s'enquiert le romancier, qui nous accueille dans les locaux de Rosie & Wolfe, la maison d'édition qu'il a fondée il y a trois ans, en plein centre de Genève. Vous êtes chez moi, chère madame. Vous avez senti ce truc un peu zen quand vous descendez du train ? Le rythme est différent. On parle souvent d'une lenteur suisse, mais je dirais plutôt une sensation de calme. »

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L'auteur du best-seller La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, qui place généralement les intrigues de ses thrillers outre-Atlantique, a choisi pour cadre de son dernier livre la ville où il est né il y a trente-neuf ans. « Genève faisait partie des lieux évidents dans lesquels je désirais raconter une histoire. Et encore plus maintenant que je suis identifié comme écrivain suisse et genevois. J'ai envie de porter cet étendard, pas seulement par mon nom ou mon passeport, mais par ma littérature. Je souhaite raconter Genève à mes lecteurs. Ceux qui connaissent s'y retrouvent et ceux qui ne connaissent pas encore auront envie de venir. » Et au cas où la lecture d'Un animal sauvage n'aurait pas suffi à nous convaincre de passer nos vacances ici, il nous a concocté une grande balade dans le centre historique. Il sait exactement comment mettre sa ville en valeur, connaît le meilleur emplacement pour la séance photos avec la vue parfaite sur le jet d'eau, dévoile la placette charmante dissimulée par les arbres.

On se croirait dans le monde de Barbie. Un joggeur puis une jeune femme au volant d'une décapotable s'arrêtent pour saluer l'écrivain et ami. Les badauds, à l'image de Joël Dicker, sont bien habillés, aimables et souriants. La nature est chatoyante. Même sans baigneurs,      le lac a pris ce jour-là des allures de lagon à faire pâlir les hypothétiques nageurs olympiques de la Seine. Il y a des pigeons qui ont conservé l'entièreté de leurs quatre doigts, des cygnes et même des bébés cygnes. Il ne manque plus que le lâcher de colombes ! « En Suisse, il y a un rapport très direct à la nature. Où que vous alliez, il y a toujours une montagne, un champ, un lac. Ça explique la qualité de vie et c'est nécessaire de le raconter dans le roman. » On s'amuse de son chauvinisme. « C'est peut-être moi qui m'émerveille trop de ce pays ! » concède-t-il. Nous lui proposons de quitter un instant son costume de guide touristique pour revenir à la littérature.

J'ai joué avec certains clichés suisses pour emmener le lecteur sur de fausses pistes

Pourquoi cet ancrage revêt-il une telle importance dans son écriture ? « Comme je revendique l'idée de pure fiction, j'ai plus de facilité à placer mon histoire dans un lieu que je connais. J'ai l'impression que la fiabilité de la description des endroits rend crédible l'histoire que j'invente. » Et pourtant il a fallu attendre son septième livre pour qu'il fasse de Genève un personnage à part entière de son histoire. « Mes premiers textes étaient teintés d'autofiction. J'ai eu besoin de prendre une distance symbolique et physique avec mon quotidien. J'ai naturellement choisi les États-Unis, que je connaissais cependant très bien, pour pouvoir rester dans la fiction pure. Il m'a fallu du temps pour revenir ici. Ça s'est débloqué avec L'Énigme de la chambre 622. C'est très agréable de raconter, de façon fictive, la ville-décor de ma réalité. » Une rue revient d'ailleurs dans ses deux thrillers genevois, l'avenue Bertrand, où vivent certains personnages. « Ma grand-mère habitait au numéro 13. J'avais une clé, un bureau, et pendant dix ans nous avons été comme colocataires de 6 heures à 22 heures        À sa mort en 2014, nous avons vendu l'appartement. C'était une grand-mère comme dans les films, qui débordait de sucreries et de gentillesse. Elle fut la première à donner du crédit à ce que je faisais. Je la raconte un peu à travers la mention de cette rue. »

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Joël Dicker fait partie de ces auteurs qui n'aiment pas se documenter pour écrire un livre. Dans Un animal sauvage, il est question de braquages, d'avocats fiscalistes et de groupes policiers d'intervention. Mais il n'a pas enquêté en amont. « Ça bride ma liberté. Je n'irais pas vérifier la météo de juin 2022 pour savoir si mes personnages peuvent faire un barbecue au bord de leur piscine. Imaginez s'il pleuvait ce jour-là. Je fais quoi ? Je réécris la scène ? La fiction doit s'affranchir du fact-checking. » La réalité gâcherait la fiction, en quelque sorte ?    « Aujourd'hui le bornage, l'infiltration dans les ordinateurs, c'est prodigieux... mais ce n'est pas romanesque. Alors que dire au concierge que l'on est une autre personne, entrer vite dans un bureau, fouiller dans un tiroir et repartir... Là, le cœur bat un peu fort. Ça, c'est du roman ! » On lui fait remarquer que son dernier thriller est parsemé d'images d'Épinal : champs verdoyants où paissent les vaches, chocolats au kirsch et évasion fiscale via les intraçables bulletins de versement... « Cette carte postale reflète quand même beaucoup la réalité du pays ! Et puis, sans spoiler l'intrigue, à un moment j'ai joué avec certains clichés suisses pour emmener le lecteur sur de fausses pistes. » Aucune fausse route en revanche durant notre visite guidée de deux heures.

En parfait hôte, il alterne sites incontournables - la cathédrale protestante Saint-Pierre, l'hôtel de ville, la place du Bourg-de-Four - et endroits insolites comme le plus long banc en bois du monde (un record consigné par le Guinness Book) sur la promenade de la Treille. Il fait même un détour pour nous montrer, à notre demande, la maison Rousseau, demeure natale de l'auteur des Confessions. Une disponibilité et une élégance que l'on retrouve dans ses livres, où l'écrivain guide le lecteur, le prend par la main et ne le lâche jamais. Ce qui lui vaut l'étiquette d'auteur grand public, roi du page turner. Un qualificatif encombrant ? « C'est avec ce genre de question qu'on a abîmé le lectorat aujourd'hui, nous recadre-t-il. L'urgence aujourd'hui reste d'arriver à faire lire les gens ; ceux qui ne lisent pas, ceux qui ne lisent plus. »

D'ailleurs, un joli passage d'Un animal sauvage raconte comment un des protagonistes écume librairies et bibliothèques à la recherche d'un texte crucial pour l'intrigue. Si Joël Dicker partage volontiers son amour de la lecture - « J'écris parce que j'aime lire », dit-il -,      il ne se livre en réalité que très peu. Tout est délicieux et maîtrisé. En passant devant des affiches de campagne pour les votations suisses, nous lui demandons la place de la politique dans ses écrits. « Je ne veux pas être en prise avec l'actualité. Si j'ai choisi l'Hôtel des Bergues dans mes deux romans en Suisse, c'est parce que c'est l'un des plus anciens palaces genevois. Une histoire qui se passe là peut se dérouler entre 1840 et 2024. Même nom, même façade. J'aime l'idée de cette intemporalité. » Le temps, lui, se rappelle à nous, et l'écrivain doit nous quitter. Mais il ne nous lâche pas sans un dernier conseil : « La salade Teranga chez Oh Martine ! est très bonne. C'est près de la gare, juste à côté du quai 8 pour Paris... » Digne d'un émissaire du Guide du routard Suisse !

Lieux d'inspiration : La semaine prochaine, pour le troisième épisode de notre série, retrouvez Sarah Chiche à Bordeaux.

Son carnet d'adresses

Joël Dicker est un auteur économe en descriptions. L'intrigue va vite, la psychologie des personnages est esquissée et la chronologie listée en tête de chapitre. Pourtant, dès qu'il s'agit des lieux, le rythme d'Un animal sauvage ralentit. Tel Stéphane Plaza, il détaille la géographie genevoise, décrit les commodités autour des habitations, la santé du marché immobilier et les facilités bancaires. On aime le quartier des Eaux-Vives à Genève avec « une rue animée, des commerces à proximité, et le lac Léman tout à côté ». On s'échapperait volontiers à Jussy, qui « offre un contraste rural saisissant » à « douze kilomètres seulement du centre de Genève ». On s'embourgeoiserait bien dans la commune huppée de Cologny avec son « cadre enchanteur », sa « villa d'architecte » à « quelques arrêts de bus, douze minutes de voiture, quinze minutes de vélo électrique pour les bobos ». Côté adresses, Un animal sauvage évoque le parc Bertrand dans le quartier de Champel, pour les joggeurs mais aussi pour les familles avec enfants, car le parc dispose de toboggans, ou pour les amoureux, qui pourront s'embrasser sur ses grandes pelouses. Pour le shopping haut de gamme, direction la rue du Rhône et ses bijouteries avec notamment Cartier, élément clé du thriller. Pour se restaurer, le café des Aviateurs rue du Rhône, où se retrouvent les protagonistes féminines, la terrasse du café du parc des Bastions pour un expresso incognito ou la Brasserie Lipp où commander des fruits de mer. Enfin, pour un dîner somptueux en tête à tête, le toit de l'Hôtel des Bergues, où est installé le restaurant japonais Izumi.

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Commentaires 2
à écrit le 19/07/2024 à 10:49
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Auteur totalement surfait qui dans un des ses thrillers s'est trompé quant au nom du coupable ! Ce qui n'a pas empêché sa maison d'édition d'écouler 200 000 exemplaires avec cette erreur ! Il vaut mieux lire les romans de Jean Tuan (L'empreinte du dr...

à écrit le 14/07/2024 à 9:55
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"Ça explique la qualité de vie " LOL ! Je pense que le fait d'être la première place mondiale d'évasion fiscale explique plus sûrement cette "qualité" de vie, le fric venant de partout vous n'avez pas à massacrer votre pays au nom de l'économie. J'ai...

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