Art : Lee Miller, une vie de combats

Avec deux expositions qui lui sont consacrées, une pièce de théâtre qui lui est dédiée et la sortie prochaine d’un biopic avec Kate Winslet dans le rôle-titre, Lee Miller est plus que jamais célébrée en France. Un bel hommage pour une artiste et photoreporter hors du commun.
Valérie Abrial
David E. Scherman, Lee Miller et des enfants à Saint-Malo, août 1944
David E. Scherman, Lee Miller et des enfants à Saint-Malo, août 1944 (Crédits : © Lee Miller Archives, Angleterre 2024. Tous droits réservés. www.leemiller.co.uk)

Fascinante. Voilà le premier mot qui surgit à l'évocation de Lee Miller. Fascinante parce que sa vie tout entière fut empreinte de choix inattendus. Très jeune, alors qu'elle est mannequin pour Vogue US, la belle aux sages allures cache une personnalité indomptable qui cherche à s'extraire des normes. Pas question pour elle de rester un objet sur papier glacé. À force de ténacité, elle réussit à passer derrière l'objectif et devient elle-même photographe de mode. On est dans l'Amérique des années 1920, Elisabeth devient Lee, prénom épicène grâce auquel elle peut exister dans l'univers très masculin de la photographie.

Plus tard, à Paris, elle travaille avec Man Ray dont on dit souvent qu'elle fut la muse... Peut-être. Mais c'est bel et bien ensemble qu'ils créent le phénomène de solarisation qui fit le succès des œuvres de Man Ray. Épisode d'une vie superbement évoqué dans la pièce de théâtre de Benoit Pernin Détachée mais pas indifférente parue ce printemps aux éditions Maïa (lire l'encadré ci-dessous).

Lee Miller, une femme libre

À son retour à New-York en 1932, elle monte son propre studio et connaît de nombreux succès éditoriaux dans la presse. Studio qu'elle finira par fermer lorsqu'elle épouse un riche d'homme d'affaires égyptien et part s'installer en Égypte. Elle poursuit néanmoins la photographie lors de ses nombreux voyages. C'est au cours de l'un deux qu'elle rencontre l'artiste surréaliste anglais Roland Penrose. Devenus amants, le couple traverse la France pour rejoindre Dora Maar, Pablo Picasso, Paul et Nusch Eluard à Mougins sur la Côte d'Azur. En chemin, ils s'arrêtent à Hauterives et découvre le Palais Idéal du Facteur Cheval où Lee Miller réalise une série de clichés.

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Image de gauche : Lee Miller, Palais idéal Hauterives, France, 1937 (Copyright Lee Miller Archives) - Image de droite : Autel hommage à Lee Miller par Claire Tabouret (Crédits photo : Margot Montigny) dans le cadre de l'exposition Forces Vives au Palais Idéal du Facteur Cheval

Pour qui ne connaîtrait pas encore cet extravagant palais, n'hésitez pas à y faire un détour si votre programme estival vous le permet. Imaginé et construit patiemment - pendant 33 ans ! -, par la main d'un seul homme, le palais de Ferdinand Cheval demeure une excentricité architecturale, poétique et surréaliste.

Pas étonnant que de nombreux artistes s'y soient attardés. « C'est cette rencontre-là qui est intéressante, évoque le directeur du Palais Idéal, Frédéric Legros. Confronter le regard et l'expression d'artistes de génération différente, cela participe à la magie et la redécouverte du site ». En exhumant des archives les photos prises par Lee Miller durant l'été 1937 et en choisissant de les exposer pour la première fois, c'est un peu de l'intimité de la photographe qui nous est révélée. Un moment de vie heureux, celui d'un amour caché. Et c'est ce qui se dégage des photos de Lee. Le mystère, ou peut-être la face cachée du palais que l'on reconnaît à peine tant le cadre choisi suggère le secret. Celui de Lee et de son amant bien sûr, et peut-être de celui qu'elle porte depuis si longtemps et qui plane comme une ombre sur sa vie.

En regard, les œuvres de l'artiste Claire Tabouret répondent à Lee tout en douceur, comme un hommage aux femmes et à la liberté, comme un hommage à la photographe, notamment avec ces deux autels qui lui sont dédiés. La rencontre de deux Forces Vives comme le suggère le titre de l'exposition ? « Exactement, confirme Frédéric Legros. Ce titre, c'est celui que Kate Winslet utilise dans la préface du livre "Lee Miller" paru aux Editions Delpire l'année dernière. Force Vive, pour décrire celle qu'elle interprète à l'écran et dont le film sort en France en octobre prochain ».

Lee Miller, photographe de guerre

Cette année 2024 ressemble plus que jamais à une commémoration de Lee Miller comme reporter de guerre, première femme photographe à avoir couvert le débarquement américain en France et sans doute la seule femme à couvrir le front en Europe. C'est elle qui, la première, photographie la libération des camps de concentration de Buchenwald et de Dachau. Des images si effroyables que les directeurs de Vogue peineront à en croire la véracité tant l'horreur y est inconcevable. L'horreur, Lee Miller en avait déjà fait connaissance depuis qu'à sa demande, elle était accréditée comme correspondante de guerre. À cette époque, elle vit à Londres où elle s'est installée avec Roland Penrose. Pour Vogue britannique, elle est photographe de mode jusqu'en 1944 avant d'arriver en août à Saint-Malo pour le reportage d'une ville qu'elle pense libérée. Mais si l'armée américaine a bel et bien libéré la zone Est de la ville depuis le 9 août, les Allemands font le siège Intra-muros. La cité malouine est alors ravagée par les flammes et les combats. Lee Miller est la seule photoreporter sur place à couvrir les conflits jusqu'à la libération de Saint-Malo le 17 août 1944.

« Unique photographe à des kilomètres à la ronde, je possédais maintenant ma guerre personnelle [...] La guerre a laissé derrière elle Saint-Malo — et moi avec » écrira-t-elle. Une guerre qui ne la laissera pas indemne et dont elle ne se remettra jamais.

Ces clichés sont pour la première fois exposés là où ils ont été réalisés, à Saint-Malo, qui célèbre le 80e anniversaire de sa libération.

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A voir

Lee Miller, Claire Tabouret - Forces Vives , jusqu'au 11 novembre - Palais Idéal du Facteur Cheval, 8 rue du Palais à Hauterives

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Lee Miller - Saint-Malo assiégée, août 1944jusqu'au 29 septembre - Chapelle de la victoire 4, rue de la Victoire à Saint-Malo

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En salle le 9 octobre

Lee Miller, le biopic d'Ellen Kuras avec Kate Winslet dans le rôle-titre

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 Lee Miller dans la baignoire d'Hitler © Lee Miller Archives, England 2024. All rights reserved. leemiller.co.uk

Le destin brisé de Lee Miller

S'il est une photo radicale dans le parcours de Lee Miller, c'est sans aucun doute celle que David E Scherman, reporter pour Life Magazine prit de la photographe dans la baignoire d'Hitler en août 1945. Ensemble, ils scénographient la scène : celle d'une reporter qui vient de découvrir l'horreur absolue des camps de concentration, dont le symbole se reflète dans les bottes encore pleine de la boue des camps ; posées comme un témoignage sur le tapis de bain. Dans la baignoire, une femme, Lee, fait sa toilette. En arrière plan, posé en équilibre le portrait du Führer qui, ironie de l'histoire, se suicide le même jour. Derrière le calme apparent de l'image, derrière cette sérénité dérangeante, se cache en réalité un traumatisme qui abimera toute sa vie durant, Lee Miller. De retour en Angleterre, elle n'utilisera plus son Reflex, sombrera dans l'alcool, se relèvera quelquefois et trouvera dans la créativité culinaire une échappatoire à l'abîme.

C'est à partir de cette bascule, de ce choc post-traumatique, que Benoît Pernin a imaginé un moment de la vie de Lee Miller. Sorte de bio fiction, sa pièce de théâtre révèle avec subtilité la force créatrice de celle qui, loin s'en faut, ne fut pas simplement la muse de Man Ray. À travers des retrouvailles que l'auteur imagine à Paris 20 ans après leur séparation, c'est tout un pan de la vie de Lee Miller qui resurgit. Entre ressentiment et traumatisme, c'est l'envie de tout détruire qui s'immisce. Alors, tout sera enfoui. Et il faudra attendre jusqu'à sa mort pour que son fils Anthony Penrose et sa femme Suzanna trouvent des cartons entiers de photographies et d'écrits qui dévoilent au grand jour la personnalité et l'œuvre de la grande photoreporter au destin brisé que fut Lee Miller. Une pièce qui se dévore d'une traite et dont on aimerait que les dialogues aient vraiment eu lieu.

Détachée... mais pas indifférente, pièce de théâtre de Benoît Pernin, (Editions Maïa, mars 2024)

Valérie Abrial

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Commentaires 3
à écrit le 14/07/2024 à 0:28
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Après avoir quitté kiki de Montparnasse ,Mà Ray s éprend de la belle Lee Miller … et qui se révèle une artiste surréaliste intuitive … je me souviens de 2 photos d elle en noir et blanc : une femme regarde dans une boucle de cristal et se voit elle...

à écrit le 14/07/2024 à 0:28
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Après avoir quitté kiki de Montparnasse ,Mà Ray s éprend de la belle Lee Miller … et qui se révèle une artiste surréaliste intuitive … je me souviens de 2 photos d elle en noir et blanc : une femme regarde dans une boucle de cristal et se voit elle...

à écrit le 13/07/2024 à 8:43
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"une personnalité indomptable qui cherche à s'extraire des normes" Et donc des hommes.

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