Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard : « Notre originalité est notre force »

ENTRETIEN - Complices à la ville et à l’écran, les deux acteurs cultivent le sens de la formule avec délice. Ils racontent leur appétit de cinéma.
Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard, à Paris, le 24 juin.
Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard, à Paris, le 24 juin. (Crédits : © LTD / SEBASTIEN LEBAN POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Pour leur première interview du matin, ils arrivent déjà hilares, en se vannant à voix basse. C'est peu dire que Raphaël Quenard et Jean-Pascal Zadi sont complices : leur camaraderie farceuse balance directement un souffle de vie salutaire dans les protocoles de promotion. Ces deux-là se sont tout de suite entendus. Même si le premier vient de la région grenobloise et que le second est né à Bondy (Seine-Saint-Denis) de parents d'origine ivoirienne et a été élevé en Normandie, ils ont beaucoup en commun : une détermination sans bornes à faire du cinéma, un amour des mots et un sens de la formule bien à eux, des personnalités atypiques qu'ils n'ont jamais trahies et... un césar chacun !

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Raphaël Quenard, 33 ans, belle gueule intense qui s'exprime avec la gouaille d'un Audiard, est devenu l'un des acteurs les plus en vue en quelques films (Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Yannick et Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux). Il a été choisi par Laeticia Hallyday pour incarner Johnny dans un biopic à venir. Jean-Pascal Zadi, 43 ans, carrure de basketteur, se définit avec humour comme « trop grand, trop noir, trop de dents », mais a déjà joué dans des séries en vue (En place, qu'il a co-créée) et a réalisé quatre films, dont Tout simplement noir. Vanneurs de haut niveau mais sérieux dans le boulot, ils sont à l'affiche de Pourquoi tu souris ?, une comédie sociale cash et drôle où ils incarnent deux SDF en galère : le solaire Wisi, qui sourit toujours malgré la situation, et Jérôme le taciturne, qui se sert des autres pour ne pas sombrer. Interview, entre fou rire et sérieux, de deux des comédiens français les plus enthousiasmants du moment.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Le courant passe très bien entre vous... C'était pareil sur le tournage ?

JEAN-PASCAL ZADI - C'était vraiment un bonheur tous les jours de se lever le matin pour tourner avec lui. On s'est rencontrés sur Coupez ! de Michel Hazanavicius...

RAPHAËL QUENARD - Ah, mais tu jouais quoi, déjà, dans Coupez ! ? Sérieusement, on a directement accroché, l'entente et l'harmonie sont passées tout de suite : la première fois, je me suis permis de lui toucher la moustache, ça a directement créé un lien particulier entre nous !

Dans ce duo de galère, l'un est toujours souriant et l'autre, sombre... Les deux attitudes que l'on choisit d'adopter dans l'adversité ?

J.-P.Z. : Dans la vie, on est pareils : on sourit beaucoup. On a cette espèce de pudeur de ne pas saouler les gens en exposant nos problèmes. Pour moi, sourire exprime une certaine beauté, une classe, une générosité. Dans le film, Jérôme ne comprend pas que Wisi, mon personnage, continue de sourire dans sa galère... C'est juste de la pudeur. J'ai l'impression que ceux qui se plaignent souvent sont ceux qui n'ont pas de « vrais » problèmes. Wisi ne se plaint pas trop alors qu'il n'a rien : c'est une bonne posture face à la vie, d'essayer de sourire pour qu'elle vous sourie. J'ai l'impression que c'est aussi une attitude assez « africaine » : quand je vais en Côte d'Ivoire chez mon père, évidemment qu'il y en a qui ne sourient pas, mais l'humeur générale est quand même bonne. Alors que quand tu es dans le métro à Paname, tous les gens sont « vénère » alors qu'ils travaillent, qu'ils sont en vie et en bonne santé... Le sourire nous ramène à l'essentiel : on est en vie.

R.Q. : Le sourire est aussi l'expression, le miroir de l'âme de quelqu'un. Quand tu rigoles, il y a une forme d'abandon, tu acceptes de perdre ta posture de solennité et c'est comme une obligation de partager avec l'autre, de lui montrer ton âme. On m'a raconté qu'un Indien était allé dans le métro et a dit qu'il avait eu l'impression de voir des « corps sans âme ». Parce que quand deux personnes se sourient, c'est leur moyen de se connecter entre elles. La rencontre avec le sourire de Wisi, c'est le déclencheur d'une amélioration dans le parcours de mon personnage.

« On nous a acceptés parce qu'on s'est acceptés nous- mêmes, qu'on ne s'est pas cachés », Jean-Pascal Zadi

Vous avez tous les deux un sens pointu de la formule...

J.-P.Z. : Notre amour des mots vient de la culture hip-hop car à notre époque la valorisation du patrimoine français et de la culture passe par là : c'est une sorte de réservoir qui nourrit, lave et engendre de nouveaux mots et expressions. Je m'inscris totalement dans cette lignée et Raphaël aussi.

R.Q. : J.-P., lui, a fait du rap, et moi je me régale avec les textes des films et j'ai l'amour de la joute entre amis.

L'éloquence, c'est ce que j'admire le plus chez quelqu'un, c'est une espèce de spectacle, un art du quotidien facile à pratiquer. L'un comme l'autre, vous n'avez jamais rien lâché dans votre envie de faire ce métier. D'où vous vient votre détermination ?

J.-P.Z. : De l'envie de s'épanouir et d'être soi-même. J'ai choisi ce métier-là parce que c'était à ma portée, même si je ne connaissais personne... À 20 ans, beaucoup de gens autour de moi me donnaient l'impression de subir leur vie, et moi, j'avais envie de choisir la mienne et d'être moi-même. Raphaël et moi, nous avons en commun d'être arrivés dans le milieu sans mentir sur ce que nous sommes. Quand il joue, sa personnalité est là, et quand je parle avec lui, je parle vraiment avec lui, pas à un gars qui fait semblant !

R.Q. : Je suis d'accord sur tout ! Quand j'ai fait - brièvement - d'autres métiers, je fuyais le travail dont les codes avaient été établis par d'autres que moi. Depuis que je suis acteur, la fainéantise m'a quitté ! Je peux y consacrer tout mon temps, je ne compte pas les heures, parce que quand tu es comédien, c'est toi qui détermines les contours de ton métier : tu dois retranscrire les situations écrites par d'autres, bien sûr, mais c'est toi qui crées le rôle. Tu es donc à un endroit qui est aligné avec ton « moi » profond.

A-t-il été difficile d'imposer vos côtés atypiques dans le milieu du cinéma ?

J.-P.Z. : Oui, nous avons en commun toutes ces barrières et ces tartes qu'on s'est prises dans la gueule ! Mais... attention, ce que je vais dire va faire trop « pub télévisuelle », mais je pense que notre originalité est notre force. Le fait qu'on ne soit pas des mecs de Paname, qu'on ne soit pas forcément liés à ce métier à la base, le fait que Raphaël s'exprime comme ça et que moi j'avais les dents écartées en avant... Nous avons compris que cela pouvait être des forces : on nous a acceptés parce qu'on s'est acceptés nous-mêmes, qu'on ne s'est pas cachés.

R.Q. : Ce qui chez nous a fait ailleurs l'objet d'un rejet a été, ici, l'objet d'une acceptation. Toi, on t'a dit « tu parles bizarre » ; moi, on m'a dit « on ne te donne pas le rôle car tu as une gestuelle trop extravertie pour le personnage »... Je me suis dit « mais ils sont fous », si je le décide, je peux incarner n'importe quel rôle. D'ailleurs, j'ai un respect et une admiration infinis pour J.-P., qui a fait trois films en indépendant avant Tout simplement noir. Ne serait-ce que tourner un court-métrage requiert un niveau d'énergie et de préoccupation exceptionnel. C'est la manifestation d'une telle volonté, ça veut dire qu'il est au bon endroit. Un jour, j'essaierai de réaliser...

J.-P.Z. : Et tu vas y arriver, car réaliser, c'est avant tout avoir un discours. Et Raphaël a vraiment des choses à dire. Après, chacun son temps. Moi, je tourne mon cinquième film... de science-fiction !

«  L'éloquence, c'est une espèce de spectacle, un art du quotidien facile à pratiquer »,  Raphaël Quenard

Est-ce que vos césars respectifs ont changé quelque chose dans votre tête et votre vie ?

J.-P.Z. : Pas dans ma tête. J'étais hyper content d'en avoir un, mais je sais que ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel, c'est de travailler, de faire de bons choix, de raconter des histoires qui me tiennent à cœur et, en tant qu'acteur, juste d'aller là où je le sens et pas forcément là où il y aura le succès ou beaucoup d'argent. Et maintenant, le sujet du film est devenu un critère : je me demande si c'est important que ce film existe, ce qu'il va apporter à la société, avec la France dans laquelle on est et la situation qui est ce qu'elle est... C'est presque patriotique ! Parce que mon temps est précieux... J'ai des gosses, j'ai des films à faire, donc, si je décide d'aller sur un projet, c'est qu'il est important pour la France.

R.Q. : Je n'ai pas changé non plus. Ce qui est bien avec le césar, c'est qu'il permet d'avoir des propositions : j'ai compris récemment qu'un film est la retranscription d'une personnalité, de la magie d'un cinéaste et de ses spécificités. J'aime qu'il y ait aux manettes quelqu'un qui a une vraie vision, qu'un film soit fait par une personnalité originale, qui m'émerveille comme un enfant et qui me donne envie de bien jouer, de discuter et d'évoluer.

Que pensez-vous de la situation politique actuelle ?

J.-P.Z. : Il faut absolument voter et faire barrage au Rassemblement national. Je trouve que la France est un pays tellement inspirant et beau... Une Belge me disait récemment que nous ne nous rendions pas compte que nous avions réussi à mettre la citoyenneté au cœur de la société : on peut être arabe ou ivoirien et faire partie de la société française. Si la France tombe dans les bras de l'extrême droite, ce sera un reniement profond de ce qu'elle est. Le vote RN pour râler contre les élites ou parce que l'économie va mal, c'est une fausse excuse. La cause commune du vote RN, c'est le rejet.

R.Q. : Plus largement, nous devrions voter pour des personnalités qui nous inspirent, avec une vraie philosophie humaniste derrière ses décisions politiques.

J.-P.Z. : Le film parle aussi de ça : apprendre à connaître les autres et à communiquer. Mon personnage sourit à la vie malgré sa galère, mais celui de Raphaël est xénophobe, il n'a certainement pas connu beaucoup de Noirs, donc il s'est enfermé dans un truc, et là, il en rencontre un...

R.Q. : ... Et il se rend compte de son idiotie, il se met à aimer Wisi. Il veut même t'embrasser à la fin...

J.-P.Z. : Oui, il me fait même un petit bisou gênant !

R.Q. : Parce que nous sommes tous frères en humanité, de toute façon.

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Commentaire 1
à écrit le 30/06/2024 à 8:29
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Oui mais que vous avez du mal à cacher votre mal être tous les deux aussi les gars... Êtes vous bien à votre place !?

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