« Je fais partie des acteurs chanceux » (Roschdy Zem, comédien)

ENTRETIEN - Le comédien et réalisateur au charisme pudique et au parcours inspiré est sur les planches et au cinéma.
Charlotte Langrand
L'acteur Roschdy Zem
L'acteur Roschdy Zem (Crédits : © ARNO LAM/CHARLETTE_STUDIO ; KATE BARRY ; MANUEL LAGOS CID/PARISMATCH/SCOOP ; NEDIM IMRE)

C'est l'un des comédiens les plus doués de sa génération. Prix d'interprétation à Cannes en 2006 pour Indigènes, césarisé en 2020 pour Roubaix, une lumière, l'acteur-réalisateur de 58 ans compte près de 90 films à son actif, de Téchiné à Desplechin, de Jolivet à Beauvois... Mercredi, on le retrouvera au cinéma au côté de Doria Tillier dans le film de Vincent Perez Une affaire d'honneur : une plongée dans l'âge d'or des duels, au XIXe siècle, où il incarne un maître d'armes virtuose, taiseux et torturé. Au Théâtre de l'Atelier, il joue un homosexuel banni par le régime fasciste dans Une journée particulière, d'après le film d'Ettore Scola. L'occasion d'un entretien profond avec un acteur en mouvement, qui aspire à des rôles d'hommes plus sensibles et s'inquiète de la montée du populisme.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Comme dans le film, vous est-il déjà arrivé de vous battre par honneur ?

ROSCHDY ZEM - Quelques fois... Je ne sais plus si c'était par honneur ou par orgueil ! Quand j'étais jeune, pour exister, il fallait se battre. En fait, j'ai échappé à beaucoup de bagarres grâce à la joute verbale, au bagout, qui permet de déstabiliser un potentiel adversaire avant qu'il ne se frotte à vous. Savoir s'exprimer, anéantir par les mots, c'est la meilleure des armes... Jamel Debbouze en parle très bien ! Et j'excellais dans ce domaine, donc j'ai été peu confronté à la bagarre physique et tant mieux, parce que je faisais 23 kilos à l'époque ! L'autre raison qui m'a empêché de trop me battre, c'est... ma famille nombreuse : vous savez que si vous en tapez un, il y en a cinq autres qui rappliquent !

Comment avez-vous réagi quand on vous a proposé ce film d'épée ?

Ce genre m'intéresse beaucoup car il s'est perdu. Le film de cape et d'épée a été une spécialité française : adolescent, je regardais Cartouche ou Fanfan la Tulipe. Là, on reparle des duels mais avec un rôle tout en intériorité... Ce sont des personnages compliqués à interpréter car il faut faire passer des émotions sans les mots. On encense souvent les rôles qui ont beaucoup de texte car ils permettent de pérorer, voire de cabotiner... mais la vraie difficulté pour un acteur, c'est de faire transparaître un vécu, simplement à travers un regard, une attitude.

Vous aviez déjà appris l'escrime ?

Il y a longtemps ! C'est une discipline très physique et technique, qui rend humble car elle demande de la vitesse, de l'endurance, de la souplesse. Pour éviter les blessures, il faut se synchroniser et avoir une concentration extrême sur le tournage. Mon personnage va chercher ce qu'il y a de plus spirituel et noble dans cette discipline, qui deviendra plus tard un sport : les salles d'armes sont les prémices de la salle de fitness ! Pour la préparation, nous faisions tous les jours deux ou trois heures d'entraînement chez le maître d'armes Michel Carliez et aussi chez Mario Luraschi, le meilleur en équitation... Il murmure vraiment à l'oreille des chevaux !

Vous avez fait des recherches sur les duels de l'époque ?

Ils me fascinent. J'ai eu en main l'annuaire des duels où sont inscrites les raisons pour lesquelles ils se sont produits, les noms, les résultats et les conséquences. Parfois, on se défiait pour des raisons futiles : une insulte, un regard... Mais il y avait une dimension romanesque au duel : le bristol, le rendez-vous, le lieu, les armes... Aujourd'hui, on se bat toujours pour des raisons futiles mais tout se règle sur les réseaux sociaux : la provocation se passe par écrans ou avocats interposés. Il ne faut pas regretter les duels, qui pouvaient être sanglants... mais se confronter à la dangerosité du combat relevait du courage. Aujourd'hui, la lâcheté a pris le dessus : on se bat à coups d'aphorismes, de phrases toutes faites...

C'est important d'incarner des hommes avec des faiblesses

Le thème des duels pouvait augurer un « film d'hommes » mais, au contraire, Lacaze a ses fêlures, il est brisé par la guerre...

C'est la valeur ajoutée du rôle : il n'est pas un super-héros. Il arrive avec son passé, ses douleurs et ses traumatismes. J'aime ces personnages torturés mais surtout sans complaisance: il faut gratter pour voir leurs fêlures. Il n'est pas dans la démonstration, il pourrait craquer émotionnellement. Comme modèle, je me suis inspiré du cinéma des vétérans du Vietnam : des personnages taiseux, avec cette cicatrice profonde sur laquelle ils n'arrivent pas à mettre des mots. Lacaze a aussi un côté « samouraï » : chez lui, tout passe par le regard et le code d'honneur. Enfin, il est audacieux, voire visionnaire car il tend la main à Marie-Rose Astié, un personnage réel qui fait aussi la singularité du film : elle a été la première à provoquer les hommes en participant à des combats. Ce sont les prémices du féminisme !

Vous jouez aussi au théâtre le rôle d'un homosexuel traqué par le régime fasciste, dans Une journée particulière. Cherchezvous à vous départir de ces rôles d'hommes marmoréens, un brin macho ?

Oui, absolument. Aujourd'hui, il y a quelque chose de suranné, même de ringard, à jouer des personnages qui dégagent trop d'assurance. C'est l'image du mâle alpha du cinéma des années 1980-1990, qui ne pleure pas, ne faiblit pas... Qu'on ait pu voir ce genre de personnages au siècle dernier me paraît normal car ils correspondaient à l'époque, au patriarcat à son apogée. Mais les esprits ont évolué et c'est important d'incarner des hommes qui avancent avec leurs faiblesses, leurs doutes. Cette pièce est importante pour moi : c'est typiquement le genre de rôle vers lequel j'ai envie d'aller. Nous avons tous la prétention de laisser une trace, et celle que j'aimerais laisser est celle d'un acteur qui a essayé d'explorer des personnages, qui n'est pas resté enfermé dans le même type de rôle.

Vous n'êtes donc pas devenu réalisateur pour vous offrir les rôles que l'on ne vous proposait pas ?

Non, je suis dans la catégorie des acteurs chanceux ! J'ai été gâté au-delà de mes espérances. Mais il faut rester alerte car, en effet, quand vous brillez dans un genre de rôle, une logique absurde veut qu'ensuite on ne vous propose que ça. Mais vous en êtes aussi responsable : c'est à vous d'essayer de provoquer un autre désir chez les réalisateurs, d'aller vers des rôles moins attendus, qui demandent plus d'implication. Pour moi, ce n'est pas si simple de jouer naturellement cet artiste homosexuel cassé par la vie et la politique de son pays. Cela demande une recherche, une réflexion et un travail sur le corps. Mais ce rôle donne plus d'intensité à ma vie parce que j'explore quelque chose chez moi qui n'a pas encore été sollicité ni montré. Ainsi, je ravive la flamme de l'interprétation et de mon travail.

Cette pièce sur l'Italie fasciste fait écho à la montée des populismes actuelle... Cela vous parle ?

Forcément. Nous sommes à nouveau dans l'ère du populisme et de la propagande, du rejet de l'autre, surtout les minorités. Cette pièce est malheureusement d'actualité et montre à quel point nous évoluons peu, mentalement parlant : la femme se bat encore pour faire valoir ses droits et c'est encore très difficile pour les homosexuels d'échapper à la discrimination.

La xénophobie est très présente, l'extrême droite a pris le pouvoir dans certains pays d'Europe. Je suis né après la guerre dans les années 1960, nos parents pensaient que tout cela était derrière eux. Ils n'auraient jamais pu imaginer qu'aujourd'hui l'extrême droite pourrait être aux portes de l'Élysée...

Nous avons tous la prétention de laisser une trace, et celle que j'aimerais laisser est celle d'un acteur qui a essayé d'explorer des personnages

Vous craignez le résultat de l'élection présidentielle de 2027 ?

Il faudrait se voiler la face pour ne pas imaginer que ce soit possible... Il y a aujourd'hui un discours totalement décomplexé sur les étrangers, sur l'islam, les musulmans. Le musulman est devenu le mal, le fléau qu'il faut combattre dans tous les domaines. Croyez-moi, c'est très dur ! Surtout pour nos enfants, ces gamins qui sont déjà victimes de discriminations à l'embauche, au logement, etc. On les accuse de tous les maux et notamment d'antisémitisme... Le plus inquiétant, c'est que le discours de l'ultradroite se rapproche de la droite, voire du centre, et devient la norme.

Vous avez réussi à vous affranchir de ces clichés...

Des metteurs en scène m'ont donné la possibilité de m'en extirper en m'offrant des rôles variés. Mais je suis très conscient de ne pas être représentatif de ce rejet que je viens d'évoquer. Je ne peux pas être un étendard, j'évolue dans le milieu du cinéma, où l'on côtoie des artistes et des intellectuels ouverts d'esprit. En parallèle, cela fait cinquante-huit ans que je vis dans ce pays et on me demande encore parfois si je me sens français! Mais aujourd'hui, plus rien ne m'énerve... J'essaie d'être philosophe.

EN GARDE !

On avait déjà vu Vincent Perez jouer dans des films de cape et d'épées (Fanfan la Tulipe, La Reine Margot...), le voici derrière la caméra pour ressusciter le temps des duels, dans son quatrième long-métrage, Une affaire d'honneur. À Paris, en 1887, on accompagne ainsi Clément Lacaze (Roschdy Zem), maître d'armes endurci mais meurtri par la guerre, qui, à l'aune d'un duel inégal et meurtrier, va questionner les limites du genre : un duel est-il une vengeance ou une réparation, et qui peut y prétendre ? Ce film d'hommes, de pouvoir et d'honneur, rythmé par d'impeccables scènes d'épée, aurait pu tomber dans le classicisme testostéroné s'il n'était pas emmené vers des sujets plus modernes sur la virilité, grâce aux fêlures de Lacaze et à la fougue de Marie-Rose Astié de Valsayre (Doria Tillier), féministe culottée de la première heure, qui réclamait le droit de se battre et de s'habiller comme un homme.

Une affaire d'honneur, de Vincent Perez, avec Roschdy Zem, Doria Tillier, Damien Bonnard, Guillaume Galienne. 1 h 40. Sortie mercredi.

Charlotte Langrand

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