Handball : le somptueux crépuscule d'une légende

Nikola Karabatic mettra un terme à sa carrière cet été. Aux Jeux avec l’équipe de France ? C’est l’idée. Sa tournée d’adieu passe déjà par l’Euro.
Nikola Karabatic face à la Tunisie jeudi, à Paris.
Nikola Karabatic face à la Tunisie jeudi, à Paris. (Crédits : © PRESSE SPORTS)

À partir de mercredi en Allemagne, Nikola Karabatic va disputer son onzième championnat d'Europe. « Ça claque », souffle le sélectionneur Guillaume Gille, qui n'avait pas le nombre en tête. Ça claque, mais pas autant que la liste de ses conquêtes depuis vingt ans, qui sont presque celles du handball masculin français depuis toujours : quatre titres mondiaux, trois titres olympiques et européens. Ça claque peut-être même un peu trop pour l'intéressé, qui passe son tour quand il s'agit d'évoquer les plus belles heures de sa carrière. « Je ne me retourne pas sur le passé », s'est-il excusé lorsque nous l'avons rencontré à la veille de Noël.

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S'il rechigne à revisiter l'Histoire, l'homme aux 348 sélections et bientôt 1 300 buts n'a pas toujours le choix. Depuis l'annonce en août de sa retraite à la fin de la saison, chaque match est l'occasion d'un hommage. Nikola Karabatic supporte plus qu'il n'apprécie ce « Kobe Tour », pour reprendre l'expression amusée de son frère Luka en référence à la longue tournée d'adieu du basketteur américain Kobe Bryant en 2016. Lui se borne à penser que « le sport, c'est le présent ». S'il a tant gagné, en sélection comme en club, c'est parce que le défi d'après est le seul qui compte à ses yeux.

Après l'Euro, il y aura les JO. L'adieu rêvé ? Le 11 août à Lille, où se déroulera la fin du tournoi olympique, pour une cinquième finale d'affilée. De la première victorieuse à Pékin en 2008, son souvenir « le plus fort », il est le dernier joueur en activité. « Il a été de tous les combats », admire Guillaume Gille, cinq médailles d'or partagées sur le terrain avant d'enfiler le polo de coach. Nikola Karabatic voudrait qu'une sixième participation olympique récompense sa forme du moment, surtout pas l'ensemble de sa carrière. D'ailleurs, il évoque l'événement au conditionnel. Déjà, quand on le questionnait il y a quelques années, il jugeait sa participation à Paris 2024 « utopique malgré les progrès de la médecine ».

Vingt ans qu'il voit la vie en Bleu. Après un premier Mondial vécu dans la peau d'un observateur en 2003, le puissant arrière façonné à Montpellier est entré dans le grand monde à l'Euro 2004, élu dans l'équipe type dès son premier tournoi. Pour sa première médaille d'or autour du cou, à l'Euro 2006, il avait « versé une petite larme ». Au cours de la décennie suivante, ce sont les adversaires qui ont pleuré : entre 2008 et 2015, les hommes de Claude Onesta ont raflé sept médailles d'or, réalisant l'enchaînement inédit Jeux-Mondial-Euro. Dans son livre The Captain Class, le journaliste américain Sam Walker place cette équipe parmi les seize meilleures de l'Histoire, tous sports confondus.

L'album est rempli d'instantanés marquants. Un tête-à-tête saturé d'hormones avec Ivano Balic, la star croate, en finale du Mondial 2009, dans le pays de son père - son chef-d'œuvre. Miroir cruel, trois ans plus tard en Serbie, la patrie de sa mère : il traverse l'Euro comme une ombre. Piqué, il reprend sa domination deux ans plus tard. Les honneurs individuels s'accumulent : avec l'ami danois Mikkel Hansen, il est le seul triple meilleur joueur du monde.

Hormis Tony Parker, aucun sportif français ne rivalise en matière de compétitivité et de palmarès

Patrice Canayer, son premier entraîneur

Son cadet Luka l'a rejoint en sélection en 2011, rendant « chaque aventure plus intense ». Ensemble, les deux frères ont conquis l'Europe (2014) et le monde (2015). En 2017 à domicile, la blessure du pivot ternit la joie procurée par le sixième titre mondial des Bleus. Fendant l'armure comme rarement, Nikola confie un regret : « Ne pas avoir eu la chance d'avoir 40 ans pour finir là-dessus. » Il les aura le 11 avril...

Sélectionneur à partir de 2016, Didier Dinart redéfinit par la force des choses le rôle de son protégé. Toujours guide et grand frère, un peu moins au four et au moulin. Longtemps épargné, son corps s'épuise. Une blessure au pied empoisonne la préparation du Mondial 2019. Un fossé se creuse entre les copains d'avant. Le palmarès ne s'enrichit que de médailles de bronze sans saveur. Jusqu'aux Jeux de Tokyo en 2021, où l'apothéose vécue dans une salle vide en raison de la pandémie le décide à s'offrir trois ans de rab.

Fin 2022, Luka Karabatic est promu capitaine des Bleus. Nikola ne l'a jamais été. Par choix. Il n'a pas, non plus, été porte-drapeau olympique - à l'inverse de Jackson Richardson à Athènes en 2004. Pas par choix. L'affaire des paris truqués est passée par là en 2012. Éclaboussée par cette histoire de pieds nickelés, la star a été condamnée mais n'a jamais reconnu les faits ; Luka et ses coéquipiers de l'époque à Montpellier, si. Nikola y a gagné un surnom qui ne l'amuse pas : Karabetclic. Son étoile en club a pâli une année, passée au purgatoire d'Aix, avant le retour au premier plan, à Barcelone puis au PSG. Protégé par Claude Onesta et le directeur technique national Philippe Bana, il n'a pas eu à en subir les conséquences en équipe de France. Sa maison.

Patrice Canayer, son entraîneur à Montpellier, a eu plus de mal à digérer. « Notre longue histoire s'est fracassée sur cette affaire », résume-t-il aujourd'hui. Le temps a refermé la blessure. Lors du récent PSG-Montpellier, une accolade a réuni le joueur et son premier entraîneur chez les professionnels. « Sans ça, son image et sa notoriété auraient été encore plus belles, soupèse le manager, qui vit lui aussi sa dernière saison. Mais il a eu le mérite de surmonter cette histoire. Hormis Tony Parker, je ne vois aucun autre sportif français qui rivalise en matière de compétitivité et de palmarès. Nikola laissera une trace profonde et a encore beaucoup à apporter au handball français. »

En 2018, on avait questionné l'aîné des Karabatic sur la date de ses derniers feux. Parce qu'il avait déjà un âge respectable, des projets pour l'après, et parce que l'on n'avait pas complètement pris la mesure de son incroyable longévité. La réponse était la même qu'aujourd'hui... Conscient qu'il pourrait être le briseur de rêve, s'il ne devait pas retenir l'idole dans sa liste réduite à quatorze joueurs pour les Jeux olympiques, Guillaume Gille veut d'abord retenir « un exemple pour toutes les générations qui se sont succédé ». Rien ne gâchera leur histoire. À la Fédération, dont il a pris la présidence, Philippe Bana parle d'un « travail obsessionnel pour trouver les Richardson et les Karabatic de demain ». La plus sûre façon de perpétuer l'héritage.

Nikola Karabatic en chiffres

3 fois élu meilleur joueur du monde (2007, 2014 et 2016). Un record qu'il partage avec le Danois Mikkel Hansen.

6 participations aux JO s'il était sélectionné pour Paris 2024, ce qui serait inédit pour un handballeur.

16 podiums avec l'équipe de France depuis le Mondial 2005. Sept lors des Mondiaux, cinq à l'Euro et quatre aux JO.

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