Gastronomie : où sont passées les mères cuisinières ?

Les mères Brazier, Poulard… incarnaient une gastronomie française féconde, enjouée et simple comme bonjour.
La mère Brazier, Alice Tuyet et Adeline Grattard.
La mère Brazier, Alice Tuyet et Adeline Grattard. (Crédits : © LTD / DR / Edouard Caupeil)

Marchons sur des œufs, si vous le voulez bien... Existe-t-il une cuisine de femme ? Une cuisine d'homme ? Hummm... Au demeurant, où sont passées les mères cuisinières, ces femmes qui dès le XVIIIe siècle s'émancipèrent dans les auberges, tables d'hôte avant l'heure ? La crise de 1929 allait pousser nombre de cuisinières employées dans les maisons bourgeoises à ouvrir leur propre affaire. De partout - Pont-Aven, le Mont-Saint-Michel, Paris, Royat, Condrieu, le Cantal et surtout Lyon - allait poindre cette fameuse cuisine des « mères », débonnaire, généreuse, enthousiasmant les nouvelles classes montantes, la politique et les gourmets.

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Elles n'avaient guère le souci de la communication. La mère Brazier n'accorda ainsi aucune interview. C'est elle qui forma des chefs comme Paul Bocuse, Bernard Pacaud. Elle entre dans la légende en obtenant deux fois trois étoiles pour ses tables de Lyon et du col de la Luère (1933). Depuis lors, où sont-elles passées ? « Elles sont mortes, répond Anne Etorre, autrice épicurienne du livre Olympe, une cuisinière libre, à paraître chez Hachette à la rentrée. Et avec elles une cuisine d'attention aux saveurs, de bienveillance. Il y eut bien Adrienne, Lulu Rousseau, Christiane Massia, mais avec Olympe s'ouvre une cuisine délibérément affranchie, loin des genres. »

Précisément, les figures d'aujourd'hui telles Hélène Darroze ou Stéphanie Le Quellec essaient de se frayer un chemin dans un univers où la représentation masculine, voire viriliste, est de mise. Le visuel l'emporte, l'ordre de la représentation, l'affirmation d'ego surpuissants. « Les mères cuisinières, ajoute Adeline Grattard, du restaurant Yam'Tcha, à Paris, avaient cependant la puissance, elles dirigeaient leur brigade, mais pour une cuisine transmise de mère en mère au plus proche des produits. Elles nourrissaient avec discrétion, sans besoin de reconnaissance. Aujourd'hui, on n'a plus l'âme des mères, car nous sommes trop sollicitées par le succès. Il faut exister sur Instagram, être dans la brillance et épater tout le monde. Parfois, je rêve de retrouver l'esprit des mères cuisinières, loin des villes, et de faire une popote délicieuse. »

J'assume mon côté féminin avec une cuisine plus proche des fluides, de la sensualité et des sauces

Alice Tuyet (Faubourg Daimant)

« J'ai du mal à imaginer qu'homme et femme soient semblables en cuisine même si aujourd'hui le discours masculin est dominant, estime Alice Tuyet, de Faubourg Daimant, à Paris. Nous avons un rapport au corps, à la douleur et à la sensation qui est radicalement différent du vécu masculin, d'où parfois chez ces derniers une certaine incapacité à donner, le fait d'être beaucoup plus éloignés des sensations et plus proche d'une approche radicale, entière. C'est pour cela sans doute que non seulement j'accentue mon côté féminin avec de jolies robes, mais je l'assume aussi avec une cuisine plus proche des fluides, de la sensualité, des sauces, et l'envie de réunir autour de la table avec des plats de partage. Même si ce discours n'est pas d'actualité et n'émerge pas, il est cependant beaucoup plus avancé qu'on ne le pense. » Le message est passé, les nouvelles mères cuisinières sont de retour. Tradition oblige et grand classique, les radars masculins ne les ont toujours pas repérées...

Femmes en cuisine

Adeline Grattard
Yam'Tcha, 121, rue Saint-Honoré (Paris 1 er). yamtcha.com

Alice Tuyet
Faubourg Daimant,
20, rue du Faubourg-Poissonnière, (Paris 10e). daimant.co

Hélène Darroze
Marsan, 4, rue d'Assas (Paris 6e). marsanhelenedarroze.com

Stéphanie LeQuellec
La Scène, 32, avenue Matignon (Paris 8e ). la-scene.paris

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Commentaires 2
à écrit le 26/05/2024 à 10:39
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On ne peut pas passer son temps sur les réseaux "dits" sociaux et en même temps cuisiner. Il est de nos jours plus facile d'acheter une bonne paire de ciseaux et gaver sa famille de produits agroindusriels et/ou surgelés. Au niveau professionnel, cu...

le 27/05/2024 à 9:53
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Le surgelé a comme vertu d'être figé assez rapidement après récolte ou pêche, le froid fait conservateur, aucun produit à ajouter. Quand vous avez des restes vous pouvez les mettre au congélateur et les ressortir la semaine suivante, les ayant incorp...

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