Cécile Verdier, présidente de Christie’s France : danse avec une star du marteau

Elle va diriger les ventes Crémieux et Renault, les 5 et 6 juin. Rencontre avec la cheffe d’orchestre de ces enchères d’exception.
Cécile Verdier, commissaire-priseur et présidente de Christie's France.
Cécile Verdier, commissaire-priseur et présidente de Christie's France. (Crédits : © LTD / Anna Buklovska)

La salle du sous-sol du 9, avenue Matignon bruisse d'un vacarme tendu. Le spectacle est total, du théâtre, presque. Sur les chaises rouges, des acheteurs coriaces et des curieux voraces. Sur les côtés, comme dans des loges, les collaborateurs de la maison de vente cajolent au téléphone des acheteurs du monde entier. Des accolades-baisers de la mort entre acheteurs, quelques rires crispés, des sourires de façade, chacun observe chacun. Christie's affiche complet pour cette unique représentation. La vente s'annonce historique. Il est dit que les prix vont s'envoler. Bientôt 15 heures.

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Comme au théâtre jusque dans les années 1830, la salle et les spectateurs sont éclairés. Ils vont concourir à l'euphorie, à l'émotion, au suspense intrinsèque à l'unique représentation. Les enjeux sont immenses. Acheteurs, vendeurs, la maison elle-même, personne ne doit être déçu. La tension repose sur la largeur des épaules de Cécile Verdier. La vente dépendra d'elle. Elle le sait. La lionne n'a pas peur des arènes. Elle est l'épicentre de ce qui va se passer, la braise qui alimente l'exaltation. Grâce à elle les records, à cause d'elle les déceptions. Elle est la cheffe d'orchestre qui donne le tempo de la vente, la scénariste qui a imaginé la dramaturgie du spectacle, l'ordre de passage des œuvres, et l'autrice des mots à dire pour convaincre l'acheteur de libérer sa bourse sans mesure.

Presque 15 heures. La star du marteau fait son entrée par la salle. Elle salue les acheteurs, tous connus d'elle, placés au mieux afin d'être fixés ensuite par son beau regard bleu. Pour la Verdier, serrer des mains, c'est prendre le pouls de la salle. Comme tout bon commissaire-priseur, C.V. est aussi psychologue. Mains serrées et embrassades. Pendant la vente, elle utilisera tout ce qu'elle sait, tout ce qu'elle sent. Séduire est aussi son métier. Afin de convaincre collectionneurs et héritiers de choisir Christie's pour vendre leurs biens, ses arguments ne sont pas que financiers et stratégiques. Ils relèvent aussi de l'affect.

Dans quelques secondes, 15 heures. C.V. se rapproche de son marteau. Elle est incroyablement concentrée, déterminée. Ses premiers mots font office de lever de rideau. Le brouhaha devient murmure. Quelques heures plus tard, la vente du 6 mars s'achève par un record mondial pour de l'art premier. La collection Barbier-Mueller a généré 73 millions d'euros. Merci Cécile.

 « C'est tellement du théâtre que j'ai suivi les conseils d'un acteur. Je joue avec la salle, sur le rythme de mes phrases, le ton... »

Rencontre en plusieurs étapes, en plusieurs lieux. Cécile Verdier propose de commencer par la fin. Rendez-vous dans son théâtre, la salle où les ventes ont lieu. Une vente signe la fin d'une longue et souvent chaotique aventure. Elle est une récompense. Après des mois de discussions, de négociations avec les vendeurs, la mise en place de la vente (exposition des œuvres, catalogue, communication), l'arrivée au pupitre, c'est l'entrée en jubilation. Cécile parle à grande vitesse comme si prendre son temps c'était en perdre. « La première vente que j'ai faite ici même, je n'avais pas 35 ans. C'était en 2001. François Pinault venait d'acheter la maison. Il était au troisième rang. Toute la maison était là. J'ai eu l'impression de monter sur le ring et j'ai gagné la partie. Soyons honnête, pendant une vente, je suis une battante avec une mission : faire gagner le maximum d'argent aux vendeurs et à la maison par la même occasion. Je suis aussi la danseuse étoile que j'ai rêvé d'être, la femme qu'on regarde... Vous faites la comparaison avec la scène. C'est tellement du théâtre que j'ai suivi les conseils d'un acteur. Je joue avec la salle, sur le rythme de mes phrases, le ton. À la fin d'une représentation, une vente, je m'effondre, je frôle la dépression. [Rires.] Heureusement, immédiatement après d'autres ventes se profilent... Au pupitre, je suis surtout la femme qui a la chance immense de faire ce qu'elle a toujours voulu faire. »

Dans les salles d'exposition en cours de montage. C.V. a le sens des autres et des affaires. Grâce à elle, des salles d'exposition visibles de la rue permettent aux chalands, futurs acheteurs potentiels, de découvrir, d'approcher les œuvres et aux vendeurs de voir leurs trésors exposés pour la dernière fois dans de magnifiques mises en scène. Les œuvres présentées sont accessibles, comme à la maison, afin qu'on les imagine à la maison, habile. Pas de vitrine mais beaucoup d'agents de sécurité. Cécile avoue se laisser parfois prendre au piège de l'objet qui attire et que l'on veut à soi. La commissaire-priseur a déjà craqué au-delà des prix qu'elle s'était fixés grâce à ses confrères. « Les objets racontent qui les collectionne. C'est pour cela qu'ils sont davantage que des objets. Du coup, personne ne prendra de photos chez moi. Montrer les objets que j'aime, au-delà de mon cercle d'amis, serait bien trop me dévoiler. »

Le bureau présidentiel est clair et sobre avec de l'espace afin de présenter les chefsd'œuvre à quelques acheteurs VIP, very important portefeuille. Sur le canapé, les confidences sont maîtrisées. Des parents bourgeois et structurés, la danse pour rêve, un goût pour la diplomatie, sciences politiques, histoire de l'art, les salles de ventes de Drouot et Sotheby's pour apprendre et se perfectionner puis Christie's dont elle prend la présidence pour la France en 2019. Voilà pour le CV de C.V. Et les dimanches chez le grand-oncle, dans tout ça ? « Il était collectionneur. Enfant, j'allais chez lui le dimanche, même bien après sa disparition. J'avais l'impression de le fréquenter à travers ses tableaux. Il recevait des catalogues pour des ventes. Je les dévorais. » Sans le savoir, en tournant les pages, elle écrivait sa vie.

Va-t-elle l'évoquer ? Non. Pudeur. Comment ne pas imaginer que la perte d'un petit frère à l'âge de 5 ans explique, si ce n'est tout, en tout cas beaucoup. « Il n'a pas eu la chance de vivre. Moi oui, alors j'en profite, totalement, goulûment, avec le sentiment permanent d'avoir de la chance et la conscience que tout peut s'arrêter. » Petit silence à peine audible. Et si nous parlions des ventes phares à venir, celle des Crémieux, couple de collectionneurs, résistants et intellectuels engagés, ou celle de Renault, oui, oui, les voitures ? Le groupe cède 33 œuvres sur 550 afin de faire évoluer sa collection. Interruption imposée. Rien ne peut arrêter Cécile Verdier.

« Collection Crémieux, passion privée » Exposition du 30 mai au 5 juin, vente le 5 juin à 16 heures.

« Collection Renault, un temps d'avance » Exposition du 30 mai au 6 juin, vente le 6 juin à 17 heures.

Christie's France 9, avenue Matignon (Paris 8e)

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