Cannes : « Un p’tit truc en plus », le film qui fait bouger la société

L’équipe d'« Un p’tit truc en plus » sera au Festival mercredi. Le feel-good movie aux plus de 2 millions d’entrées change le regard sur le handicap. Décryptage avec Artus, acteur et réalisateur.
Artus (chapeau) et les comédiens d’« Un p’tit truc en plus ».
Artus (chapeau) et les comédiens d’« Un p’tit truc en plus ». (Crédits : © LTD / Cine Nomine)

Mercredi dernier, 9 heures du matin, dans un hôtel parisien. Devant son café allongé, Artus affiche une belle forme malgré les nuits trop courtes. La veille, il était à Montpellier pour porter la flamme Olympique - « rien de spectaculaire. J'ai marché 200 mètres avec une grosse allumette ». Mercredi, il sera à Cannes pour monter les marches du festival avec l'équipe de son film tourné avec onze comédiens amateurs en situation de handicap mental et une poignée d'acteurs professionnels (Artus, Clovis Cornillac, Alice Belaïdi, Marc Riso). Une forme de consécration qui s'est accompagnée d'une polémique provoquée par le refus des grandes marques de luxe d'habiller la joyeuse petite troupe. « Je pense qu'il est toujours plus élégant pour une marque d'habiller Brad Pitt que d'habiller Artus et encore plus des acteurs en situation de handicap » avait déploré l'humoriste France Inter.

« Le costargate » est lancé. Dans la foulée, le petit monde du luxe se presse pour éteindre l'incendie, de Dior à Lacoste en passant par Ralph Lauren . « On leur a mis le nez dans leur caca à toutes ces marques qui prônent le vivre-ensemble dans de très belles chartes sur l'inclusion » s'amuse Artus. Selon nos informations, un échange, dimanche dernier, entre Artus et Aurore Bergé, ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations,  aurait débloqué la situation avec l'entrée en jeu du groupe Kering de François-Henri Pinault (Gucci, Saint-Laurent, Balenciaga...).

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Les marques comme les gros producteurs se mordent aujourd'hui les doigts de n'avoir pas vu venir cette star du box-office. Avec deux millions d'entrées, son film s'impose comme le plus gros succès français depuis la pandémie après Alibi.com 2 et Astérix & Obélix : l'empire du milieu. Un spectateur sur trois est allé voir le film la première semaine. En deuxième semaine, Un p'tit truc en plus a même devancé La planète des singes : le nouveau royaume avec 950.000 spectateurs. « On s'est heurtés à beaucoup de refus de producteurs. L'un d'eux m'a même dit : "On sait qu'ils existent, on ne va pas en plus les montrer". Mais plus on me disait non, plus j'avais envie de le faire » souligne Artus dont le film sera finalement produit par Cine Nomine.

Il en convient, « aller mieux serait compliqué ». Dans la foulée d'une tournée triomphale avec son one-man-show (100.000 places écoulées entre janvier et avril), l'humoriste détenteur d'un bac pro cuisine fait une entrée fracassante comme réalisateur, après avoir démontré son talent de comédien dans Le Bureau des Légendes et une vingtaine de comédies. Il a été touché par les messages envoyés par Gilles Lellouche, Pierre Niney, Gérard Jugnot, Jean Dujardin... « Patrice Leconte m'a même écrit "bienvenue dans la famille" ».

« On s'est heurtés à beaucoup de refus des producteurs »

Avec son intrigue, aussi simple que futée - un père (Clovis Cornillac) et son fils (Artus) braquent une bijouterie, et s'incrustent dans un bus de jeunes trisomiques et autistes pour échapper à la police - et son budget raisonnable (6 millions d'euros), le film cartonne dans les grands centres urbains comme les villes de moins de 5000 habitants. La clé de son succès ? « Il faudrait un trousseau entier pour le comprendre » sourit Artus qui se réjouit de voir, lors des projections, « des vieux, des jeunes, des parents trainés par leurs enfants, des blancs, des noirs, des juifs... Le film arrive au bon moment tellement l'époque est anxiogène ». Dans une société plus jamais polarisée, Un p'tit truc en plus fédère autour de l'acceptation de la différence comme une richesse, non une menace... « C'est un film qui donne du baume au cœur. On est jamais dans la caricature mais l'émotion » témoigne Juliette, trente ans, à la sortie d'un cinéma parisien. « Au début, j'avais peur que les comédiens soient utilisés comme des bêtes de foire. J'ai vite été rassuré. Ils ont tous une forte personnalité, du talent et de vrais rôles. C'est un film utile qui nous rappelle que les personnes en situation de handicap mental ont aussi des désirs, des rêves, aspirent au bonheur et à l'amour », confirme ainsi Daniel, retraité suisse en vacances dans la capitale.

Sans crier au chef-d'œuvre, la critique a également salué un film sincère et bien ficelé. « Il aurait pu être encore plus réussi avec une réalisation plus ambitieuse et quelques tours de visses au scénario. Mais pour un premier long-métrage, Artus signe une comédie pleine de charme, grinçante quand il faut. On rit sans être embarrassé » souligne Xavier Leherher, journaliste cinéma au Nouvel Obs et au Masque et la Plume. Du côté associatif, l'accueil est également positif. « Je l'ai trouvé bienveillant et d'une profonde humanité, même s'il évoque, plus qu'il ne montre, la dure réalité du quotidien des personnes porteuses d'un handicap mental. C'est une bulle, un feel good movie, et c'est très bien » assure Luc Gateau, président de l'Unapei (Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés).

Du temps avant d'aborder le sujet

Et si l'autre clé du succès résidait aussi dans l'appétence du public pour les films abordant le handicap ? Patients de Grands Corps Malade, Hors-Normes du tandem Nakache-Toledano, Tout le monde debout de Franck Dubosc n'ont-ils pas allègrement dépassé les deux millions d'entrées ? Sans oublier La Famille Bélier (7 millions) et Intouchables (19 millions). Des œuvres plus confidentielles ont également rencontré leur public Monsieur-Je-Sais-Tout sur l'autisme (400.000 entrées), De toutes nos forces avec Jacques Gamblin et Fabien Héraud né handicapé moteur cérébral (600.000 entrées) « Cette thématique rebute moins car elle de mieux en mieux traitée au cinéma et véhicule des valeurs finalement universelles » souligne Julien Richard-Thomson, président du SPCH (Syndicat des Professionnels du Cinéma en situation de Handicap), également auteur-réalisateur d'un documentaire passionnant sur la représentation des personnes handicapées dans le 7ème art (« Pas de bras, pas de cinéma »).

Artus confie avoir été touché par la question du handicap dès son enfance. « J'étais attiré par la fantaisie de ces personnes, par leur capacité à se décaler et l'absence totale de filtre pour exprimer leurs émotions ». Il évoque sa rencontre en classe avec Victor atteint d'autisme : « Je l'aimais beaucoup. Je l'avais invité à mon anniversaire. Sa mère m'avait appelé pour s'assurer que nous n'allions pas nous moquer de lui. Ce jour-là, j'ai compris que le handicap pouvait, pour certains, être un problème ». L'humoriste mettra du temps avant d'aborder le sujet sur scène. « Le sujet est quand même sensible. Tout le monde me disait "attention, on ne peut pas rire de la différence". Mais moi je voulais rire avec les handicapés, pas à leurs dépens ». Il se lance en en 2019, lors du festival de Montreux et fait se gondoler la salle avec son sketch Le Handisport, un sommet d'humour trash... « J'étais persuadé que j'allais me faire éclater sur les réseaux sociaux. Le lendemain, la vidéo était en ligne sur le site de l'association Handisport ». Deux ans plus tard, lors de l'émission Les Duos Impossibles de Jeremy Ferrari, il incarne Sylvain, un idiot du village doublé d'un serial killer qui ferait passer Emile Louis pour un délinquant en herbe. Au policier qui l'interroge, il répond : « Je ne suis pas handicapé. Maman dit que j'ai un p'tit truc en plus ».

Faire bouger les lignes

Dans un registre plus solaire et consensuel, son film ambitionne de « banaliser le regard sur le handicap » mais aussi de montrer des visages trop souvent absents dans le cinéma. Sa référence absolue ? Le Huitième Jour (1996), chef d'œuvre du réalisateur belge Jaco Van Dormael avec Daniel Auteuil et Pascal Duquenne, acteur belge atteint de trisomie 21. « Ils ont reçu le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes. Ce film a marqué un tournant, mais depuis, très peu de réalisateurs ont mis en avant des comédiens en situation de handicap mental ». Citons tout de même la comédie sportive Chacun pour tous de Vianney Lebasque (2018) ; Hors-Normes (2019) avec le comédien atteint d'autisme Benjamin Lesieur ; Presque (2022) réalisé et interprété par Bernard Campan et le philosophe Alexandre Jollien. « Je ne voulais pas faire un film de "valides", où, de temps en temps, on voit au loin des personnes en fauteuil roulant. Je voulais les mettre au centre du film. C'est une logistique complexe, il faut du temps pour s'adapter à chacun, mais leur bonne humeur a boosté toute l'équipe. C'est la première fois que je finis un film en avance et sans dépassement du budget ».

Selon Julien Richard-Thomson, Un P'tit Truc en plus pourrait bien faire bouger les lignes. « Artus prouve qu'un film tourné avec onze acteurs porteurs d'un handicap mental peut rencontrer le grand public. Les producteurs ne pourront plus dire "c'est trop compliqué, le handicap fait peur aux gens" ». Car le parcours d'un acteur en situation de handicap relève toujours autant du chemin de croix. Stanislas Carmont peut en témoigner.  Comédien au sein de la compagnie Le Théâtre du Cristal, il s'impose, à 25 ans, comme l'une des révélations d'Un P'tit Truc en Plus. Également journaliste au Papotin (le magazine animé par de jeunes autistes), il a décroché son premier vrai rôle dans le film d'Artus. « J'ai un agent, mais je ne vous cache pas qu'elle galère pas mal pour trouver des castings ». Pas de quoi décourager le jeune homme passionné par les Présidents de la République au point de converser avec la solennité d'un baron du RPR. « Je veux vraiment faire carrière, c'est ma passion et ma meilleure thérapie. Jouer me libère de mes angoisses ».

En attendant une meilleure inclusion, Artus mesure déjà l'impact de son P'tit Truc en plus. « Des associations constatent une augmentation des dons depuis la sortie du film » souligne le parrain des Jeux Paralympiques et de Handicap International. A quand une projection de presse à l'Elysée, avec lequel des contacts se sont noués ? « Peut-être, j'espère, j'aimerais bien, je n'y suis jamais allé, mais rien n'est encore calé » assure Artus. Lui envisage son film comme « un point de départ et non une finalité ». Son véritable objectif ? Créer un centre de vacances, « comme un Club Med adapté aux jeunes en situation de handicap, mais ouvert à des valides ». Soit le scénario d'Un p'tit truc en plus. Dans la vraie vie.

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Commentaires 2
à écrit le 24/05/2024 à 14:50
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Quand on voit l'écart de niveau entre le dernier film populaire à succès et ceux du festival, on se dit qu'il y a deux mondes qui ne se rencontreront jamais.

à écrit le 20/05/2024 à 8:18
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Il a un goût particulièrement amer ce festival de Cannes non ? Ils vont aller nous chercher toutes les luttes possibles et imaginables sauf celle qui touche le milieu du cinéma depuis trop longtemps maintenant. Les actrices sont certainement bien mie...

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