Des branches craquent sous les pas des promeneurs silencieux. Le groupe s'enfonce lentement en plein cœur du bois de Saint-Mard, au nord-est de Compiègne, lorsque Cathy De Késel, située tout à l'avant, amorce une pause. « Voici venu l'exercice de l'arbre miroir. » Un « ah ! » de contentement s'élève dans les rangs. La sophrologue, qui guide les trois heures de ce « bain de forêt » organisé par l'association Festival des forêts, reprend d'une voix de coton : « Choisissez-en un qui vous ressemble. Ou c'est peut-être lui qui va vous choisir. Dirigez-vous vers lui et touchez son écorce. Déposez à sa base vos peines, vos colères qui vous empêchent d'avancer. Puis reprenez votre chemin le cœur plus léger. » Ces dernières années, les « bains de forêt » ont été largement moqués pour ces câlins prodigués aux arbres en les étreignant. En réalité, cette pratique est beaucoup plus complexe.

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Le terme de « shinrin-yoku » (littéralement « bain de forêt ») date de 1982. Il est forgé par l'Agence forestière du Japon, alors que l'île traverse une vague de mal-être général, pour inviter les citoyens à fréquenter ces espaces dans le but d'améliorer leur hygiène de vie et d'atténuer leur stress. Depuis, cette pratique réapparaît un peu partout. Elle s'inscrit dans le cadre de diverses recherches et pratiques, la sylvothérapie, autour de la santé et du bien-être. Celles-ci s'appuient sur l'immersion des personnes dans un espace forestier. « La modification de nos usages et de nos modes de vie réduit les occasions d'interaction avec les milieux naturels, note Alix Cosquer, chercheuse en psychologie environnementale qui étudie les relations des individus avec la nature. Nous travaillons à l'intérieur, nous nous déplaçons en voiture, etc. » Pour contrebalancer cette vie de plus en plus sédentaire, certains profitent de leur temps libre pour s'immerger dans des milieux qu'ils identifient comme « naturels ». « Et la forêt est l'archétype de ces représentations qu'on se fait autour de la "nature" », poursuit la chercheuse.

« L'espèce humaine a une tendance innée, inscrite génétiquement, à rechercher le contact de la nature »

Au pied d'un imposant tilleul, Cathy la sophrologue égrène : « Je vous demanderai de
couper vos téléphones portables et de ne pas me dépasser pour rester dans la contemplation et le moment présent. Nous allons marcher tranquillement pour prendre le temps de nous ressourcer. » À la clairière suivante, la guide s'arrête une nouvelle fois et s'enquiert de l'état d'esprit de chacun. « Comment vous sentez-vous ? » « Apaisée », glisse une dame en legging coloré. « Réchauffée », lance une autre, le nez emmitouflé dans une écharpe. Encore un peu plus loin, les participants sont invités à se mettre en cercle et à fermer les yeux pour « accueillir toutes les sensations qui se présentent » à eux. Juste au-dessus, sur une branche de hêtre, deux oiseaux se répondent et percent le silence. La forêt sent bon le bois en train de sécher. Le groupe se remet en marche. Une main effleure au hasard du chemin une souche recouverte de mousse.

Abondamment documentés - et parfois critiqués -, les bienfaits de la forêt semblent être à la fois physiologiques et psychiques. Une étude japonaise a montré que dix-sept minutes de promenade dans les bois diminuaient davantage la fréquence cardiaque qu'une marche en ville. « Toucher du bois réduit la pression artérielle, ce qui s'accompagne d'un effet relaxant, ajoute Alix Cosquer. La douceur des chants des oiseaux, elle, contribue à la réduction du stress et à la restauration des capacités attentionnelles. Tandis que l'observation des feuilles - en partie parce qu'il s'agit de fractales, des formes qui se répètent à différentes échelles - produit un effet d'apaisement cérébral qui a pour conséquence un repos psychique. » De manière générale, le contact avec des environnements naturels abaisse la concentration de cortisol, l'hormone du stress, et améliore la qualité du sommeil.

On ne sait pas exactement pourquoi le corps et le cerveau réagissent à ces situations de contact. « L'hypothèse de biophilie postule que l'espèce humaine a une tendance innée, inscrite génétiquement, à rechercher le contact de la nature dans le but de s'adapter à son environnement », indique Alix Cosquer. On pourrait aussi penser que les individus assaillis en permanence de sollicitations auditives, visuelles, sociales - sources de stress - ne peuvent que bénéficier de s'en trouver éloignés pour un temps. « Il y a enfin une raison implicite et impensée, selon la chercheuse. Se sentir appartenir à quelque chose de plus grand » constituerait peut-être l'une des racines du bien-être.

Des bains de forêt sont organisés chaque saison par le Festival des forêts, avec cette
année un temps fort du 21 juin au 13 juillet. festivaldesforets.fr
À lire : La Sylvothérapie, Alix Cosquer, collection Que sais-je ?