Au Musée d'Orsay avec Catherine Frot

Si elle n’avait pas été actrice, elle aurait été peintre. « Paris 1874 –Inventer l’impressionnisme » vue par la star qui fréquente avec gourmandise les musées.
Catherine Frot en 2022.
Catherine Frot en 2022. (Crédits : © LTD / PHILIPPE QUAISSE/PASCO)

Quel dommage ! Catherine Frot est une immense actrice, dommage... pour la peinture. Si Frot n'avait pas été comblée et élue (tardivement) par le cinéma et le théâtre, elle aurait été peintre. À 16 ans, la gamine rêvait de faire les Beaux-Arts. L'actrice multi-césarisée et moliérisée n'en a pas pour autant baissé les pinceaux. Frot peint, irrégulièrement mais sérieusement. Jouer comme peindre, c'est d'abord observer. Frot a mille paires d'yeux. Elle voit tout, l'air de ne pas y regarder. L'observatrice n'a pas de carnets pour croquer mais ses yeux ne dorment jamais. Un mariage, son père, sa fille, une voisine, son cochon d'Inde, la place du Théâtre de l'Atelier, les paysages corses qu'elle aime tant, tout peut devenir œuvre. Se méfier de Frot. Qui s'y Frot s'y pique et prend le risque de se voir « endessiné ».

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« Bonjour, c'est Catherine qui s'y Frot s'y pique. Nous avons bien rendez-vous dans vingt-trois jours à 8 h 45 à Orsay, côté Seine près de la sonnerie ? » Ainsi est Frot, précise et toute d'humour vêtue. Proposer à l'actrice la visite d'une exposition n'est pas compliqué, surtout à Orsay, musée avec lequel elle entretient une liaison régulière. Avec Frot pas de peut-être,        on verra. Frot est Miss oui ou non. Entre les deux, rien, ni hypocrisie, ni circonvolutions, ni clauses de dernière minute. Musée d'Orsay, 8 h 45. Avant la visite, contrairement à la préparation d'un rôle, pour lequel l'actrice mène une investigation totale avant interprétation chirurgicale, elle n'a pas potassé, voulant préserver étonnements et impressions instinctives.

Dans une exposition, elle se laisse aller. « Quand je joue, je suis dans l'action. Au musée, je suis dans une sorte de passivité, en méditation, dans un état second. » Bien entendu, Frot sait ce qui s'est passé en 1874. Le Salon de peinture officiel et annuel ne retient que les peintres académiques, réalistes, raisonnables. Les refusés, les rejetés créent alors leur propre Salon. Pendant trente jours, 165 tableaux sont exposés. Quatre sont vendus mais les trentenaires (Morisot, Guillaumin, Monet, Sisley, Cézanne) et quadragénaires (Degas, Pissarro) entrent dans l'Histoire en préférant peindre leurs impressions, leurs émotions que la réalité ou quelques légendes surannées à la mode à l'époque. Frot traverse l'immense nef, dodelinant joyeusement. Elle frôle quelques chefs-d'œuvre qui l'attirent (Courbet, Millet), mais pas question de se laisser distraire. Objectif « 1874 ». Frot trace vers l'entrée de l'expo, exaltée et causante.

Mon père m'a encouragée à peindre mais m'a d'abord fermement conseillé d'être Adjani ou rien

« Un de mes arrière-grands-pères maternels taquinait le pinceau et s'installait dehors comme les impressionnistes. Un grand-père peignait inlassablement les vagues de Quiberon. Mon père m'a encouragée à peindre mais m'a d'abord fermement conseillé d'être Adjani ou rien. » À l'entrée de l'exposition, patatras ! « On va se taire, quand même. » Frot quitte subitement le monde des mots, son monde, pour celui du silence, de l'écoute de ses émotions. L'actrice traverse rapidement la première salle. Le silence est de courte durée, rompu par l'amusement. Frot est surprise de voir le président de la République Mac Mahon représenté en Polichinelle par Édouard Manet (1874), peu connu comme caricaturiste. L'actrice s'en étonne et révise l'Histoire grâce au cartel. « Un tableau raconte une histoire et l'Histoire avec un grand H. Les tableaux, les livres, les films transportent dans un contexte, une époque. Ils sont des cours d'histoire qui ne font pas leçons. »  Concernant les années 1870, guerres, chaos politique, révolutions industrielles, paysages qui changent, Paris en grand chambardement urbanistique, existence de la photographie sont indissociables de ce qui est représenté ou ignoré à cette époque-là. Changement de salle.

De toute évidence les œuvres qui précèdent, annoncent l'impressionnisme ne chavirent pas Frot. Œuvres trop plates, trop réalistes, qui ne transcendent pas, Frot n'adhère pas. Sauf que... la visiteuse devient exaltée devant un immense tableau représentant la Seine, la vie le long des quais, vies esquissées, embarcations ébauchées. Le tableau d'Antoine Guillemet Bercy en décembre (1874) happe Frot. « C'est le tableau qui m'a regardée, comme l'a évoqué Louis Jouvet sur ses relations avec la peinture. » Le paysagiste Antoine Guillemet fut proche des impressionnistes mais trop classique pour l'être. Frot est dans le tableau. Elle se promène sur les quais de Bercy, se protège du vent. Sortie du tableau, elle embarque le nom du peintre. Apprendre, ne rien oublier, famille d'instituteurs, mère directrice de lycée, père ingénieur, Catherine a de qui tenir.

Au Musée d'Orsay avec Catherine Frot

Coucher de soleil », Claude Monet, 1868. (Crédits : ©LTD / CLAUDE MONET/ COLLECTION PARTICULIÈRE)

L'actrice traverse rapidement les salles où sont accrochées collées-serrées des œuvres présentées au Salon officiel de 1874, scènes de guerre (1870), martyrs ou satyres, bigoteries ou natures mortes. Encore quelques cimaises puis les impressionnistes et le chef-d'œuvre iconique du mouvement. Encore quelques secondes et Catherine verra le soleil se lever sur le port du Havre. Impression, soleil levant fut peint par Monet le 13 novembre 1872 peu après 7 h 35. Ce tableau, c'est du jazz. Tout zigzague, reflets dans l'eau, fumées industrielles et barques qui godillent. Et... rien. Le tableau ne regarde pas Frot. À peine le remarque-t-elle, mais l'actrice flanche grâce aux pastels de Monet qui jouxtent le tableau star.                          Là, les yeux de Catherine se trémoussent et dissèquent une armada de couleurs et de formes. Celles-ci s'épousent, se combattent, fusionnent. Terre, ciel, vent, nuages, tout est en mouvement, en tourment.

Coucher de soleil (1868) est le choc, la petite œuvre qui laissera un souvenir géant.                  Il comble Frot. Pas la peine de voir les chefs-d'œuvre impressionnistes qui concluent l'expo.  Pour Frot, il faut sortir du musée pour respirer l'œuvre, la laisser résonner, pas d'accumulation d'émotions, une seule suffit amplement. La star aime la peinture mais a évincé la femme qui peint. La reconnaissance en tant qu'actrice lui suffit, dit-elle. Sa notoriété aurait pollué son travail de peintre si elle avait persévéré, croit-elle. Exposer ce qu'elle a fait ? Jamais, affirme-t-elle, ajoutant avec malice que ses tableaux ne sont même pas encadrés. Ils peuvent l'être. En attendant une expo Frot, celle-ci pourrait interpréter Berthe Morisot, seule femme impressionniste. César assuré.

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