L’Allemagne et la France s’associent dans le nucléaire… pour construire une centrale à fusion !

L'entreprise allemande Bruker s'est associée à quatre autres industriels européens, dont le groupe français Alcen, pour créer la société Gauss Fusion. Objectif : connecter au réseau électrique une centrale à fusion nucléaire d'une puissance d'un gigawatt d'ici 15, voire 20 ans. Si les défis technologiques restent immenses, la jeune entreprise, soutenue par le gouvernement fédéral allemand, entend faire la différence grâce son approche industrielle et son expérience des grands projets. Elle s'apprête à ouvrir un bureau en France.
Juliette Raynal
Pour sa future centrale à fusion, l'entreprise Gauss a choisi d'utiliser un stellarator pour confiner le plasma. Sur cette photo, le stellarator du réacteur expérimental Wendelstein 7-X, situé en Allemagne.
Pour sa future centrale à fusion, l'entreprise Gauss a choisi d'utiliser un stellarator pour confiner le plasma. Sur cette photo, le stellarator du réacteur expérimental Wendelstein 7-X, situé en Allemagne. (Crédits : Christian Lunïg)

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le nucléaire n'est pas uniquement source de clivage entre Berlin et Paris. Les deux pays peuvent également faire preuve de coopération en la matière. En effet, si l'Allemagne a décidé de tourner le dos à la technologie de fission nucléaire, elle n'ignore pas du tout les enjeux de la fusion nucléaire... Bien au contraire. Non seulement le pays dispose des équipes de recherches les plus en pointe dans ce domaine, mais il nourrit aussi des ambitions industrielles.

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C'est notamment le cas de la société Bruker qui commercialise des câbles supraconducteurs, un élément clé pour assurer le confinement du plasma dans un réacteur à fusion. Celle-ci s'est alliée à quatre autres industriels européens, dont le français Alcen et sa filiale bordelaise Alsymex, premier fournisseur du programme scientifique international Iter, censé démontrer la viabilité de la fusion nucléaire à grande échelle. Ensemble, ils ont fondé la société Gauss Fusion. Basée à Garching-Munich, en Allemagne, celle-ci s'est donnée pour objectif de connecter au réseau électrique une centrale de fusion nucléaire d'ici le début des années 2040.

Reproduire le mécanisme à l'œuvre dans le soleil

Depuis près de 100 ans, les scientifiques tentent de reproduire, sur Terre, le mécanisme à l'œuvre dans le soleil et les étoiles. Contrairement à la fission nucléaire, sur laquelle repose toutes les centrales nucléaires en fonctionnement dans le monde, la fusion nucléaire ne consiste pas à casser des noyaux lourds d'uranium pour libérer de l'énergie, mais à faire fusionner deux noyaux d'hydrogène extrêmement légers pour créer un élément plus lourd. Dans le détail, le mariage forcé du deutérium et du tritium permet de produire de l'hélium et un neutron. Cette réaction doit alors générer des quantités massives d'énergie sous forme de chaleur, qui peut ensuite être transformée en électricité grâce à une turbine.

La fusion nucléaire suscite d'immenses espoirs car si l'homme savait la contrôler, cette source d'énergie cocherait toutes les cases : l'électricité qu'elle pourrait délivrer serait quasi illimitée, décarbonée, sûre, et produirait très peu de déchets radioactifs à vie longue. Alors que les défis technologiques restent immenses, la fusion sort peu à peu des laboratoires. Dans son dernier rapport, publié en juillet dernier, la Fusion industry association (FIA) dénombre désormais une quarantaine d'entreprises privées actives dans ce domaine à travers le monde, dont plus de la moitié se situe aux Etats-Unis. Quelques-unes ont également vu le jour en Europe, à l'image de Renaissance Fusion en France, Deutelio en Italie ou encore de Marvel Fusion en Allemagne.

Industrialiser la fusion

Gauss Fusion, elle, entend se distinguer par « sa puissance industrielle ». « Nous ne sommes pas une start-up, mais une entreprise issue de cinq grands groupes industriels. Nous avons à la fois une vision plus réaliste, mais aussi l'expérience de la gestion de grands projets », défend Frédérick Bordry, directeur technique de la jeune entreprise, après avoir piloté pendant sept ans les accélérateurs et la technologie de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern).

Comme Iter, Gauss Fusion a fait le choix de la technologie du confinement magnétique. Cette approche consiste à faire chauffer un plasma à 150 millions de degrés et à le confiner grâce à des aimants extrêmement puissants, capables de rapprocher les particules et de les faire circuler selon une trajectoire bien précise. Toutefois, à la différence du programme européen, la jeune entreprise a choisi un design de réacteur bien particulier : le stellarator, qui diffère du tokamak bien plus répandu et étudié par les chercheurs par le passé. Initialement conçu par les Américains, ce type de réacteur est plus difficile à construire que le tokamak, mais il présente un grand avantage : il permet d'obtenir un plasma très stable et de produire de l'énergie de manière continue et non pulsée.

Une centrale d'un gigawatt de puissance

Gauss entend achever sa phase de conception en 2025, après trois années de travail. Elle entamera ensuite une phase d'ingénierie, qui devrait durer sept à huit ans. « L'objectif à l'issue de cette période est d'arrêter les spécifications techniques afin de les transmettre aux industriels », précise Frédérick Bordry. En parallèle, la société prévoit d'initier des discussions avec les différentes autorités de sûreté nucléaire en vue d'obtenir les autorisations nécessaires. Devrait alors débuter la phase de construction et d'assemblage. « Nous voulons construire une centrale d'une puissance d'un gigawatt, l'équivalent d'une tranche de fission nucléaire, capable de produire entre 7 et 8 térawattheures par an », indique le directeur technique. La localisation de cette première centrale doit être arrêtée en 2027. Une short-list devrait être établie dès 2025.

Le principal défi que Gauss devra relever concerne la disponibilité du tritium, essentiel à la réaction de fusion. « Aujourd'hui, l'inventaire du tritium dans le monde s'établit à 25 kg. Or, la centrale que nous voulons construire devrait en consommer 150 kg par an », explique le directeur technique. Pour qu'une telle centrale à fusion soit viable, le réacteur doit être capable de générer autant de tritium qu'il n'en consomme et donc de créer une boucle.

L'autre grand défi a trait au financement. Soutenue à hauteur de 8 millions d'euros par les cinq groupes industriels fondateurs, Gauss a également obtenu une aide de 9 millions d'euros de la part du gouvernement fédéral allemand dans le cadre d'un programme de recherche et espère décrocher une aide additionnelle de 18 millions d'euros pour ses travaux sur le tritium.

Des centrales à 10 milliards d'euros ?

En parallèle, l'entreprise cherche actuellement à lever 40 millions d'euros supplémentaires. Dans cette optique, sa PDG Milena Roveda a entamé, en début de semaine, une tournée française auprès de potentiels investisseurs, parmi lesquels figurent des fonds de capital risque, mais aussi des pétro-gaziers. L'entreprise travaille aussi à l'ouverture d'un bureau tricolore, dont une antenne pourrait être basée à Bordeaux, afin de candidater à l'appel d'offre France 2030 dans l'optique de décrocher une subvention de plusieurs millions d'euros.

Au total, la première centrale devrait coûter 18 milliards d'euros. « L'idée, à terme, est d'abaisser ce coût à environ 10 milliards d'euros, soit l'équivalent d'un réacteur EPR [qui s'appuie sur de la fission nucléaire, ndlr] », assure Frédérick Bordry. Selon lui, l'Europe aura besoin de quelque 200 centrales à fusion à l'horizon 2100. Et ce, même dans un mix composé à 60% d'énergies renouvelables.

Juliette Raynal

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Commentaires 18
à écrit le 06/06/2024 à 23:30
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"L'Allemagne et la France s'associent dans le nucléaire... pour construire une centrale à fusion !" Encore des milliards qui vont cramer pour remplir les poches de quelques uns...

à écrit le 06/06/2024 à 9:08
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Combien de milliards avons-nous déjà dépensé et dépenseront nous encore pour l'étude de la fusion nucléaire, entre ITER et autres projets similaires ? J'écris "étude" car aucun mégawatt n'ayant encore été produit, on ne peut écrire "expérimentation"....

le 06/06/2024 à 15:38
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Pessimiste ou optimiste peu importe, ne reste que l'expérience pour juger si cette technologie est viable. Ne jurons pas contre l'avenir, face aux enjeux immenses de la sortie du pétrole il s'agit de ne pas rater le coche de cette rupture technologiq...

le 06/06/2024 à 17:00
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L'hydrogène décarbonée et la pile à combustible sont des ruptures technologiques majeures dont il convient de ne pas rater le développement et l'amélioration, en attendant Godot. Parce que ceux qui nous dirigent sont sourds et aveugles à tout ce qui ...

le 08/06/2024 à 7:42
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@Daniel ROUX L'expérience ITER a produit des résultats : la plus longue réaction de fusion jamais enregistrée. Les milliards d'euros dépensés (par plusieurs pays) retombent pour la plus grande part dans l'économie Française car Cadarache est en Franc...

à écrit le 06/06/2024 à 8:27
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et puis ils quitteront le navire dans quelques temps et nous laisserons dans la mouise comme pour l armement, Renault... Super alliés les allemands.

à écrit le 05/06/2024 à 23:35
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Je ne sais pas d'où sort ce délire de 15 à 20 ans pour une centrale à fusion nucléaire ?

à écrit le 05/06/2024 à 21:36
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Encore les Allemands dans la boucle ! Décidément ! C'est le ruban adhésif du capitaine Haddock. Quelqu'un leur a-t-il expliqué que dans la fusion nucléaire deutérium-tritium il y a libération de quelques neutrons, donc émission d'un peu de radioacti...

à écrit le 05/06/2024 à 21:26
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on va etre clair..........ca fait 40 ans que les ecolos tolerants sont la avec leur panneau ' Atomkraft, nein, danke' ( le nucleaire non merci)....Merkel a realise leur souhait, envoye rwe et e.on au tas, et maintenant l'allemagne veut faire comme l...

à écrit le 05/06/2024 à 17:27
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A mourir de rire, les allemands favorable à un projet nucléaire quelle blague Ils ont tout fait avec leur alliés écolos de mettre à mal plogoff.puis creys mallevile.puid Fessenheim, ils ne sont pas partis prenante dans le projet ITER ils ont fermé ...

le 06/06/2024 à 8:08
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Les Allemand font partie intégrante d'ITER, ils ont plusieurs machines de fusion nucléaire (tokamak ASDEX-U, stellerator W7X) et ils sont très actifs sur la recherche en fusion nucléaire depuis de très nombreuses années.

à écrit le 05/06/2024 à 15:49
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Les Chinois l' auront construite bien avant eux cette centrale à fusion nucléaire et pourquoi pas les Coréens ( du Nord comme du Sud ) , les Japonais et les Indiens comme bien sûr les Américains

le 05/06/2024 à 18:54
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Quels sont les éléments qui soutiennent vos dires? Une conversation avec d’éminents scientifiques? Des notes, une étude?

le 05/06/2024 à 20:13
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Vous devriez ouvrir un cabinet de voyance si vous avez des dons dans le domaine de la prédiction. Les divers projets mondiaux permettent de voir quelle filière sera la bonne, c'est plein d'incertitudes, ces systèmes. Le principe ne suffit pas en soi ...

le 06/06/2024 à 7:53
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@Math. Référence? L'EPR Chinois peut-être, par contraste avec L'EPR d'EDF?

à écrit le 05/06/2024 à 14:53
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Que l'Allemagne se débrouille seule et qu'ils arrêtent de nous mettre des bâtons dans les roues . qu'ils retournent avec leurs centrales à charbon et leurs vélos électrique et qu'ils nous cassent plus les Cacahuètes .

le 05/06/2024 à 16:09
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+1

le 05/06/2024 à 16:56
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@ bernard-o et Jason 13.. - Pourquoi tant de haine? Il faut toujours composer avec les Allemands et ils ne font pas toujours les bons choix. Cependant quand ils se lancent sur un projet, on peut compter sur eux et ils ont d'excellents ingénieurs, p...

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