En Europe, les tensions sur les transformateurs, câbles et autres composants du réseau électrique menacent la transition énergétique

L'association industrielle européenne Eurelectric alerte sur la pénurie des transformateurs, dont les délais de livraison atteignent parfois quatre ans. D'autres matériels essentiels au réseau électrique ont également été placés sous surveillance. En France, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE a modifié sa politique d'approvisionnement. Objectif : encourager les industriels à prendre des décisions d'agrandissement à l'heure où les capacités de production sont sous dimensionnées par rapport à l'ampleur des investissements à mener.
Juliette Raynal
Selon l'association Eurelectric, le nombre de transformateurs devrait être amené à doubler d'ici 2050.
Selon l'association Eurelectric, le nombre de transformateurs devrait être amené à doubler d'ici 2050. (Crédits : Unsplash License - Matthew Henry)

Les investissements colossaux dédiés à la transformation du réseau électrique européen - indispensable pour atteindre les objectifs climatiques en permettant le déploiement des pompes à chaleur, des véhicules électriques, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes - vont-ils se heurter aux faiblesses de la chaîne d'approvisionnement ? C'est ce que redoutent plusieurs acteurs de la filière, comme le signalaient récemment nos confrères d'Euractiv.

« Nous avons de nombreuses remontées faisant état de délais de livraison allant jusqu'à quatre ans pour un transformateur électrique. Ce qui est considérable au regard des objectifs de raccordement des énergies renouvelables à l'horizon 2030. Il y a un vrai goulot d'étranglement à ce niveau-là et nous pouvons d'ores et déjà parler de pénurie », rapporte à La Tribune Kristian Ruby, secrétaire général de l'association industrielle européenne Eurelectric.

Ces immenses machines industrielles sont cruciales pour le réseau électrique. Ce sont elles qui permettent de transformer un courant haute tension en courant moyenne et basse tension. Or, selon l'association Eurelectric, le nombre de transformateurs devrait être amené à doubler d'ici 2050, passant de quelque 4,5 millions d'unités actuellement en service sur le Vieux Continent à 9 millions, impliquant un rythme de déploiement annuel de 172.000 au cours des 25 prochaines années.

Plusieurs matériels sous surveillance

Contactée par La Tribune, la Commission européenne assure être « consciente des problèmes liés à la pénurie de transformateurs ». Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité en France RTE, lui, ne préfère pas encore parler de pénurie, mais reconnaît « une tension sur la chaîne d'approvisionnement ».

« Côté transformateurs, notre approvisionnement est sécurisé à court terme. En revanche, la question se pose à plus long terme, pour un horizon à cinq, six ans, rapporte Thomas Veyrenc, directeur général de RTE en charge de la stratégie, de l'économie et des finances. Mais cette tension ne touche pas uniquement les transformateurs. Plusieurs matériels sont aujourd'hui sous surveillance comme les câbles souterrains et aériens ou encore les disjoncteurs », précise-t-il.

« A titre d'illustration, les délais observés entre la date de commande et la date de livraison ont été multipliés par trois entre 2021 et 2023 pour les câbles souterrains et les matériels postes (transformateurs de puissance, transformateurs-déphaseurs, selfs), et une partie des besoins ne sont toujours pas 'sécurisés' pour les prochaines années (par exemple : 80 km de câbles à horizon 2025) », détaille le gestionnaire dans un des documents publiés dans le cadre de la consultation publique de son futur schéma décennal de développement du réseau (SDDR).

Une base industrielle européenne sous dimensionnée

Selon Eurelectric, le goulot d'étranglement observé sur les transformateurs électriques tient directement à la hausse de la demande de ce type d'équipement et à des capacités de production limitées. « La bonne nouvelle, c'est qu'il y a une base industrielle existante en Europe, et notamment en France », assure Thomas Veyrenc. « Certains matériels viennent d'Asie, mais nous disposons aussi d'une forte capacité de fabrication de composants de qualité en Europe avec la présence d'industriels comme Siemens, ABB et Hitachi », abonde Kristian Ruby.

« La mauvaise nouvelle, c'est que cette base industrielle est aujourd'hui très certainement sous dimensionnée par rapport à l'ampleur des investissements à mener partout en Europe », pointe toutefois Thomas Veyrenc.

De fait, les investissements à réaliser sont colossaux. Dans une nouvelle étude, publiée ce mercredi 22 mai, Eurelectric estime que 67 milliards d'euros doivent être injectés chaque année dans les réseaux de distribution de l'Union européenne, entre 2025 et 2050. « Ce qui correspond à un quasi doublement des investissements », soulève Kristian Ruby.

Des enjeux comparables à l'industrie de l'armement

« Les enjeux de montée en cadence de notre écosystème sont comparables à la situation du monde de l'armement, estime Thomas Veyrenc. Aujourd'hui, notre industrie est capable de fournir du matériel de pointe, mais dans des quantités relativement faibles. La question est de savoir comment cette base industrielle pourra livrer des quantités bien plus importantes avec des exigences de rapidité beaucoup plus fortes ».

L'un des grands enjeux pour répondre à ce challenge a trait à la standardisation des équipements. « Aujourd'hui, c'est l'approche du sur-mesure qui prévaut. Chaque équipement doit répondre aux standards européens, mais aussi aux standards de l'Etat membre ainsi qu'aux exigences du gestionnaire du réseau donneur d'ordre, expose le secrétaire général d'Eurelectric. L'absence d'harmonisation des normes techniques est également un facteur de hausse des coûts, car elle supprime la capacité des industriels à produire en masse », poursuit-il. Dans ce contexte, RTE s'est engagé à simplifier son catalogue en réduisant le nombre de références. Ces enjeux devraient, par ailleurs, être abordés lors du prochain Conseil européen de l'énergie, prévu le 30 mai.

Un besoin de visibilité sur le long terme

Les acteurs de la chaîne d'approvisionnement ont aussi besoin d'une visibilité à plus long terme afin de pouvoir prendre des décisions d'agrandissement des capacités de production. « Aujourd'hui, lorsqu'on achète du matériel, cela passe par des contrats d'une durée de quatre ans. L'idée est d'aller sur des contrats d'une durée de dix ans pour certains types de matériels », explique-t-on du côté de RTE. Pour répondre aux besoins des industriels, le gestionnaire entend également s'engager sur des volumes minimums garantis. Il prévoit aussi d'introduire des clauses plus contraignantes en termes de contenu carbone.

« On retrouve aujourd'hui des modes d'organisation d'une industrie en croissance, qu'on n'avait plus connus depuis les années 80 », résume Thomas Veyrenc, pour qui la transition énergétique est « un grand programme d'équipement, qui nécessite une chaîne d'approvisionnement robuste »

La filière, composée aussi bien de grands groupes internationaux, comme le câblier Nexans, que de petites structures, à l'image de l'ETI lyonnaise JST transformateurs, devra nécessairement se structurer pour réussir ce passage à l'échelle, indispensable à la réussite de la transition énergétique. Comme ailleurs, la question de la disponibilité des compétences sera aussi un enjeu crucial.

Juliette Raynal

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Commentaires 26
à écrit le 23/05/2024 à 20:58
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Une tempête dans un verre d'eau comme d'habitude. J'en vois déjà qui crient à la mauvaise gestion... Le Yakafokon dans toute sa splendeur ! Il suffisait de prévoir ! Comme si personne n'y avais pensé. Rebâtir une industrie ne se fait pas d'un claquem...

à écrit le 22/05/2024 à 18:25
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quand on lit ce document ....aucune organisation sérieuse , aucune analyse sur moyen et long termes en fonction des prévisions et des besoins ....de plus nos "fleurons"de l'électricité sont sous contrôle étranger ....c'est dingue ....qui est respons...

à écrit le 22/05/2024 à 17:03
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Transformateurs et haute tension, n'était ce pas Alstom Grid, chapardé par GE en 2015? En même temps que les turbines hydro, Alstom Renewable Power, aussi volé par les américains et Alstom Power, pour le nucléaire et les turbines Arabelle. Y'avait ...

le 22/05/2024 à 17:32
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Tous partis, ils désossaient la France, et quelques années plus tard leurs déconnophones sont bloqués sur souveraineté et réindustrialisation..... Mais ils n'iront pas en tôle. Sans oublier que nombre d'entreprises, d'investissements, et d'exploita...

le 23/05/2024 à 20:53
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Les turbines Arabelle (la division GE Steam) ont depuis été rachetées à GE par EDF, pour un montant bien inférieur au prix de vente (c'est une activité fortement déficitaire depuis des lustres)

à écrit le 22/05/2024 à 15:13
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C'est pas optimale de vouloir transporter l'électricité a travers les frontières, sur de longs trajets et a travers plusieurs opérateurs mais l'UE a l'image de l'ex URSS n'a que faire de la performance et genete sans cesse du gachis

à écrit le 22/05/2024 à 15:13
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C'est pas optimale de vouloir transporter l'électricité a travers les frontières, sur de longs trajets et a travers plusieurs opérateurs mais l'UE a l'image de l'ex URSS n'a que faire de la performance et genete sans cesse du gachis

à écrit le 22/05/2024 à 11:29
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La logistique, la chaine d'approvisionnement deviennent des sujets stratégiques pour toutes les industries jusque là cantonnées aux services fonctionnels .Il ne se passe guère plus de quelques semaines sans que les médias se fassent l'écho de diffic...

le 22/05/2024 à 12:37
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La gestion à flux tendu, héritée des années 80, avait dans sa version initiale japonaise un corolaire : un parc de machines automatiques pléthorique, permettant de monter en cadence de production quasi-instantanément. La version européenne du flux te...

à écrit le 22/05/2024 à 11:27
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C'est de la faute au réchauffement climatique mais l'Intelligence Artificielle (AI) va tout solutionner.. Je suis parfois effrayé par notre absence de vision à long terme de notre industrie, et ce que l'on ne fait pas nous même il ne faut pas espérer...

le 22/05/2024 à 12:20
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"notre absence de vision à long terme" sobriété énergétique (diviser par 2 la conso du pays), fermeture de 50% des réacteurs français, tout en renouvelable, on peut se séparer de certains transfos. Revirement, décarbonation totale, voitures électriqu...

le 23/05/2024 à 8:42
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En complément : Nos danseurs de claquette ont-ils entendu parler de l’Induction pour charger les voitures électriques lorsqu’elles roulent. Et l’énergie osmotique par l’opposition eau douce/eau de mer pour produire une électricité abondante et propre...

à écrit le 22/05/2024 à 11:18
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les politiciens baveux sont impressionnants de clairvoyance!!!!!! comme prevu, ils font le transit energetique en envoyant tout au tas ( enfin, tout ce qui n'est pas conforme a la bonne morale baveuse),........puis decouvrent avec stupefaction et hor...

à écrit le 22/05/2024 à 11:13
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Encore un truc incroyable. Le matériel électrique, on le produit depuis toujours. On est le pays des centrales nucléaires, on sait depuis 7 ou 10 ans qu'on va vers une transition électrique forte, etc..et on découvre aujourd'hui qu'on n'a pas le mat...

le 22/05/2024 à 11:27
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Je doute fort que Alstom soit impliqué dans la production de transformateurs électriques. Déjà que McKron a vendu leurs turbines vapeur (Arabelle) aux Américains qui bloquent le retour en France, et leur a également vendu les turbines hydrauliques (p...

à écrit le 22/05/2024 à 10:58
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On nous prend vraiment pour des jambons !!!!!

à écrit le 22/05/2024 à 10:43
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Des sociétés françaises? Hitachi =Japon, 1 Abb= Suédois - Suisse, Siemens= allemand, nos politiques depuis 30 ans ont vendu nos intérêts et note sécurité stratégiques au nom d une mondialisation qui n enrichissait que ceux qui avaient des actifs à ...

à écrit le 22/05/2024 à 10:43
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Des sociétés françaises? Hitachi =Japon, 1 Abb= Suédois - Suisse, Siemens= allemand, nos politiques depuis 30 ans ont vendu nos intérêts et note sécurité stratégiques au nom d une mondialisation qui n enrichissait que ceux qui avaient des actifs à ...

à écrit le 22/05/2024 à 10:41
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pauvre europe de pacotille, dirigée par des incompetents et des corrompus comme EVA KAILI qui a reintegré son poste au parlement européen, en toute quiétude et impunité apres avoir ete arretee pour avoir touche 600.000 euros en cash de la part du qat...

à écrit le 22/05/2024 à 10:38
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A mourir de rire. Heureusement que les fabricants chinois seront là pour nous les fournir🤣

à écrit le 22/05/2024 à 10:37
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A mourir de rire 🤣

à écrit le 22/05/2024 à 10:31
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Toujours cette politique consistant à s'efforcer de placer "la charrue avant les boeufs", donc aucun étonnement dès l'instant où nos gouvernances européennes sont conduites par des brêles.

à écrit le 22/05/2024 à 10:21
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... IMPORTONS LES DE ... CHINE ! ... C' est étrange comment les " erreurs " se reproduisent quand , systématiquement, " ON MET la CHARRUE DEVANT les BOEUFS " . Ainsi pour la giga-usine de semi-conducteurs en Isère de Macron ( tout de même plus de ...

à écrit le 22/05/2024 à 10:16
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4 ans pour fabriquer un transfo? Faut pas déconner! Il y a un savoir faire spécifique qui a été perdu, mais ce n'est pas insurmontable. Un transfo est une pièce inerte composée de quelques éléments et font la technologie est connue depuis la découver...

le 22/05/2024 à 12:26
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4 ans ce n'est pas le temps de fabrication, mais le délai de livraison.

le 22/05/2024 à 12:28
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"une pièce inerte composée de quelques éléments" ah ah, quels éléments ? J'en ai bobiné des transfos (pour le bricolage donc de faible puissance). Un vieux modèle 'massif' était posé au sol une fois, l'étiquette indiquait 8000A me semble, le fil doit...

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