![Selon l'association Eurelectric, le nombre de transformateurs devrait être amené à doubler d'ici 2050.](https://static.latribune.fr/full_width/2376893/reseau-electrique.jpg)
Les investissements colossaux dédiés à la transformation du réseau électrique européen - indispensable pour atteindre les objectifs climatiques en permettant le déploiement des pompes à chaleur, des véhicules électriques, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes - vont-ils se heurter aux faiblesses de la chaîne d'approvisionnement ? C'est ce que redoutent plusieurs acteurs de la filière, comme le signalaient récemment nos confrères d'Euractiv.
« Nous avons de nombreuses remontées faisant état de délais de livraison allant jusqu'à quatre ans pour un transformateur électrique. Ce qui est considérable au regard des objectifs de raccordement des énergies renouvelables à l'horizon 2030. Il y a un vrai goulot d'étranglement à ce niveau-là et nous pouvons d'ores et déjà parler de pénurie », rapporte à La Tribune Kristian Ruby, secrétaire général de l'association industrielle européenne Eurelectric.
Ces immenses machines industrielles sont cruciales pour le réseau électrique. Ce sont elles qui permettent de transformer un courant haute tension en courant moyenne et basse tension. Or, selon l'association Eurelectric, le nombre de transformateurs devrait être amené à doubler d'ici 2050, passant de quelque 4,5 millions d'unités actuellement en service sur le Vieux Continent à 9 millions, impliquant un rythme de déploiement annuel de 172.000 au cours des 25 prochaines années.
Plusieurs matériels sous surveillance
Contactée par La Tribune, la Commission européenne assure être « consciente des problèmes liés à la pénurie de transformateurs ». Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité en France RTE, lui, ne préfère pas encore parler de pénurie, mais reconnaît « une tension sur la chaîne d'approvisionnement ».
« Côté transformateurs, notre approvisionnement est sécurisé à court terme. En revanche, la question se pose à plus long terme, pour un horizon à cinq, six ans, rapporte Thomas Veyrenc, directeur général de RTE en charge de la stratégie, de l'économie et des finances. Mais cette tension ne touche pas uniquement les transformateurs. Plusieurs matériels sont aujourd'hui sous surveillance comme les câbles souterrains et aériens ou encore les disjoncteurs », précise-t-il.
« A titre d'illustration, les délais observés entre la date de commande et la date de livraison ont été multipliés par trois entre 2021 et 2023 pour les câbles souterrains et les matériels postes (transformateurs de puissance, transformateurs-déphaseurs, selfs), et une partie des besoins ne sont toujours pas 'sécurisés' pour les prochaines années (par exemple : 80 km de câbles à horizon 2025) », détaille le gestionnaire dans un des documents publiés dans le cadre de la consultation publique de son futur schéma décennal de développement du réseau (SDDR).
Une base industrielle européenne sous dimensionnée
Selon Eurelectric, le goulot d'étranglement observé sur les transformateurs électriques tient directement à la hausse de la demande de ce type d'équipement et à des capacités de production limitées. « La bonne nouvelle, c'est qu'il y a une base industrielle existante en Europe, et notamment en France », assure Thomas Veyrenc. « Certains matériels viennent d'Asie, mais nous disposons aussi d'une forte capacité de fabrication de composants de qualité en Europe avec la présence d'industriels comme Siemens, ABB et Hitachi », abonde Kristian Ruby.
« La mauvaise nouvelle, c'est que cette base industrielle est aujourd'hui très certainement sous dimensionnée par rapport à l'ampleur des investissements à mener partout en Europe », pointe toutefois Thomas Veyrenc.
De fait, les investissements à réaliser sont colossaux. Dans une nouvelle étude, publiée ce mercredi 22 mai, Eurelectric estime que 67 milliards d'euros doivent être injectés chaque année dans les réseaux de distribution de l'Union européenne, entre 2025 et 2050. « Ce qui correspond à un quasi doublement des investissements », soulève Kristian Ruby.
Des enjeux comparables à l'industrie de l'armement
« Les enjeux de montée en cadence de notre écosystème sont comparables à la situation du monde de l'armement, estime Thomas Veyrenc. Aujourd'hui, notre industrie est capable de fournir du matériel de pointe, mais dans des quantités relativement faibles. La question est de savoir comment cette base industrielle pourra livrer des quantités bien plus importantes avec des exigences de rapidité beaucoup plus fortes ».
L'un des grands enjeux pour répondre à ce challenge a trait à la standardisation des équipements. « Aujourd'hui, c'est l'approche du sur-mesure qui prévaut. Chaque équipement doit répondre aux standards européens, mais aussi aux standards de l'Etat membre ainsi qu'aux exigences du gestionnaire du réseau donneur d'ordre, expose le secrétaire général d'Eurelectric. L'absence d'harmonisation des normes techniques est également un facteur de hausse des coûts, car elle supprime la capacité des industriels à produire en masse », poursuit-il. Dans ce contexte, RTE s'est engagé à simplifier son catalogue en réduisant le nombre de références. Ces enjeux devraient, par ailleurs, être abordés lors du prochain Conseil européen de l'énergie, prévu le 30 mai.
Un besoin de visibilité sur le long terme
Les acteurs de la chaîne d'approvisionnement ont aussi besoin d'une visibilité à plus long terme afin de pouvoir prendre des décisions d'agrandissement des capacités de production. « Aujourd'hui, lorsqu'on achète du matériel, cela passe par des contrats d'une durée de quatre ans. L'idée est d'aller sur des contrats d'une durée de dix ans pour certains types de matériels », explique-t-on du côté de RTE. Pour répondre aux besoins des industriels, le gestionnaire entend également s'engager sur des volumes minimums garantis. Il prévoit aussi d'introduire des clauses plus contraignantes en termes de contenu carbone.
« On retrouve aujourd'hui des modes d'organisation d'une industrie en croissance, qu'on n'avait plus connus depuis les années 80 », résume Thomas Veyrenc, pour qui la transition énergétique est « un grand programme d'équipement, qui nécessite une chaîne d'approvisionnement robuste »
La filière, composée aussi bien de grands groupes internationaux, comme le câblier Nexans, que de petites structures, à l'image de l'ETI lyonnaise JST transformateurs, devra nécessairement se structurer pour réussir ce passage à l'échelle, indispensable à la réussite de la transition énergétique. Comme ailleurs, la question de la disponibilité des compétences sera aussi un enjeu crucial.
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