Nicolas Sarkozy veut former les chômeurs avec l'argent des salariés

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  789  mots
Copyright Reuters
Avec sa proposition d'obliger les demandeurs d'emploi à suivre une formation et à accepter un emploi derrière, Nicolas Sarkozy risque de siphonner les fonds des entreprises affectés à la formation des salariés et, ainsi, remettre en cause le principe de la loi Delors.

Nicolas Sarkozy a fait du thème de la formation des chômeurs un axe central de sa campagne. Il l'a dit et redit, il veut que davantage de chômeurs puissent accéder à une formation professionnelle et, à l'issue de celle-ci, ils seraient obligés de reprendre le premier emploi proposé, correspondant à cette nouvelle qualification. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à s'entendre sur une telle réforme, le candidat-président propose alors de passer par la voie du referendum. Enfonçant le clou, Nicolas Sarkozy souhaite que les quelque 30 milliards d'euros actuellement dédiés à la formation professionnelle soient mieux utilisés.
Cette proposition a fait beaucoup réagir. Mais il convient pour en apprécier la pertinence de revenir sur l'organisation - très opaque - de la formation professionnelle en France et, surtout, sur son financement qui varie selon les personnels visés. Un rapport de la Cour des comptes sur "la formation professionnelle tout au long de la vie" datant de 2008 aide à mieux cerner le problème.

La formation professionnelle: un effort de 34 milliards d'euros

Avec 25,9 milliards d'euros, soit l'équivalent de 1,5% du PIB, l'effort national de formation professionnelle est colossal. D'autant plus que si l'on ajoute les dépenses relatives aux lycées professionnels (8,4 milliards), on parvient à un total de plus de 34 milliards d'euros, soit 2% du PIB. C'est à ce montant que se réfère très justement Nicolas Sarkozy. Seulement, il convient de rentrer davantage dans le détail pour ne pas risquer des amalgames. Ces financements proviennent en effet d'acteurs très divers, tant publics que privés. En premier lieu, avec un tiers des dépenses totales, ce sont les entreprises qui sont le premier financeur de la formation professionnelle. L'Etat (28%) et les régions (15%) viennent ensuite. Enfin, depuis "l'activation des dépenses d'assurance chômage en 2001" (et la création du fameux Pare, soit le projet d'aide au retour à l'emploi), le service public de l'emploi est devenu aussi un financeur important, à hauteur de 1,3 milliard.

Les entreprises dépensent 8 milliards pour la formation des salariés

Mais, jusqu'ici, légalement, la formation des demandeurs d'emploi échappe totalement à la responsabilité des entreprises, elle revient essentiellement à l'Etat (1,5 milliard), Pôle Emploi (1,3 milliard) - a travers le financement du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qui assure pendant 12 mois 80% de son ancien salaire à un chômeur en échange d'une formation - et les régions (0,6 milliard), soit un total de 3,4 milliards (10% du total). De son côté, la formation des salariés représente un effort de 10,5 milliards, dont 8 milliards proviennent des entreprises. En effet, depuis la loi Delors de 1971 sur l'obligation de financer la formation professionnelle des salariés, les entreprises doivent consacrer un certain pourcentage de leur masse salariale (actuellement 0,9%) au plan de formation. En revanche, les entreprises n'ont aucune obligation vis à vis des demandeurs d'emploi.... C'est ce que veut changer Nicolas Sarkozy. Mais est ce la meilleure façon de s'y prendre ? N'y a t-il pas un risque de détournement de la loi Delors sur la formation des salariés si les sommes sont affectées a la formation des demandeurs d'emploi qui devrait être normalement assurée par les pouvoirs publics (national et local).

Palier les carrences des pouvoirs publics en risquant de "vider" la loi Delors sur la formation

Jean-Claude Quentin, ancien secrétaire confédéral de FO et l'un des plus grands spécialistes de la formation professionnelle en France le craint : « Il faut aborder la question de la responsabilité des entreprises en amont, avant les licenciements. L'article L.6321-1 du Code du Travail prévoit que l'employeur est tenu d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper - non pas leur - mais un emploi. D'ailleurs dans un arrêt "Concorde Lafayette" en date du 2 mars 2010, la Cour de cassation a sanctionné un employeur qui n'avait proposé aucune formation professionnelle continue à trois salariés durant toute la durée de leur emploi dans l'entreprise. Ensuite, il faut comprendre que les qualifications dont nous avons besoin, des infirmières par exemple, ne s'acquièrent pas en trois mois et ne sont accessibles qu'avec un certain niveau de formation préalable".
Certes, il est de notoriété publique que "l'argent de la formation" collecté dans les entreprises ne fait pas toujours l'objet d'une gestion rigoureuse, voire même, sert a beaucoup de choses sauf à la formation des salariés. Cependant, alors que les gouvernements successifs depuis dix ans prônent le principe de "flexi sécurité" et le développement de "l'employabilité" pour, justement éviter le chômage, il y aurait une sorte de paradoxe à siphonner la manne financière permettant la réalisation de ces objectifs.