Agriculture : les syndicats agricoles divisés sur les « prix plancher »

Alors que la FNSEA souligne les dangers liés à l'éventuelle fixation de prix agricoles minimums, la Coordination rurale, la confédération paysanne et le Modef les réclament à Emmanuel Macron, qui les avait promis contre l'avis de son gouvernement.
Giulietta Gamberini
Entre-temps, « c'est Matignon qui a repris le dossier » de l'ensemble de la crise agricole, constatent les syndicats agricoles minoritaires, en regrettant d'être exclus des tractations.
Entre-temps, « c'est Matignon qui a repris le dossier » de l'ensemble de la crise agricole, constatent les syndicats agricoles minoritaires, en regrettant d'être exclus des tractations. (Crédits : Reuters)

Promis pour la mi-mars par Emmanuel Macron lors de son inauguration très contestée du Salon international de l'agriculture, le rendez-vous entre le président de la République et les syndicats agricoles, censé mettre fin aux contestations des agriculteurs, se fait toujours attendre. Et les raisons de ce retard restent obscures. Une chose est sûre néanmoins, la condition fixée à l'origine par le chef de l'Etat pour une telle rencontre n'est toujours pas réunie. A savoir que les syndicats agricoles soient d'accord sur les quatre ou cinq propositions communes permettant à leurs yeux de sortir de la crise agricole.

L'exécutif écarte le sujet

Or, un sujet, qui n'est pas sans embarrasser l'Elysée, fait notamment l'objet de désaccords : les « prix plancher ». Emmanuel Macron avait surpris en promettant la mise en place de tels prix le 24 février afin de « protéger le revenu agricole », alors que son gouvernement s'y était publiquement opposé en décembre en s'opposant à une proposition de loi en ce sens de La France Insoumise. Sans donner de précisions, le chef de l'Etat s'était limité à évoquer des prix au-dessous desquels les transformateurs ne pourraient pas acheter aux producteurs leurs aliments et les distributeurs ne pourraient plus vendre. Il avait expliqué qu'ils correspondraient aux indicateurs de coûts de production que chaque filière aurait déjà dû élaborer en vertu de la loi Egalim 2 de 2021, mais que certaines professions n'ont pas encore définis.

« C'est la chose la plus engageante qu'on ait jamais faite », avait souligné Emmanuel Macron.

Depuis, l'exécutif évite le sujet, en insistant plutôt sur sa volonté de renforcer, avant la fin de l'année, le dispositif des lois dites Egalim, dont l'objectif est depuis 2018 d'éviter que les agriculteurs ne vendent à perte. L'instauration de « prix plancher » ne fait d'ailleurs pas partie de la soixantaine d'engagements officiels dont la réalisation progressive est régulièrement mise en avant par le gouvernement. Et le 4 avril, celui-ci s'est opposé à l'adoption à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi des écologistes prévoyant des prix minimums.

 « Condition n°1 pour sortir durablement de la crise agricole »

Mais le 9 avril, la Coordination rurale (CR), la Confédération paysanne (CP) et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), respectivement deuxième, troisième et quatrième syndicats représentatifs derrière l'alliance majoritaire FNSEA-Jeunes agriculteurs, ont remis le sujet sur la table. Les trois organisations syndicales minoritaires ont signé ensemble une lettre adressée à Emmanuel Macron l'appelant à mettre en place sa promesse, qu'ils élèvent à « condition n°1 pour sortir durablement de la crise agricole ».

« Abandonner ce sujet central à la seule évaluation des lois Egalim est complètement insuffisant, trop incertain et trop lent », affirment-ils, en estimant globalement que « la remise urgente d'outils de régulation des marchés (prix minimum garantis, gestion des volumes, stockage public, encadrement des marges de l'agro-industrie et de la grande distribution...) est indispensable et permettra de prévenir les crises et protéger les agricultrices et agriculteurs de la volatilité des marchés ».

« Socle commun de la crise agricole »

« Le problème des revenus insuffisants est le socle commun de tout le mouvement de colère agricole, celui qui rend difficile de supporter l'empilage des normes et les autres difficultés », analyse Raymond Girardi, vice-président du Modef.

« Et des prix rémunérateurs auraient des répercussions positives aussi sur l'attractivité du métier et sur la souveraineté alimentaire française, en permettant à plus d'agriculteurs de vivre de leur travail et donc de produire », ajoute-t-il.

Quelques mois avant les élections européennes et un an avant celles des Chambres d'Agriculture, le rapprochement sur ce sujet de la Coordination rurale, classée à droite, et de la Confédération paysanne et du Modef, classés à gauche, est particulièrement significatif. L'objectif est d'ailleurs de livrer un « signal fort » dans un « contexte de crise et face aux enjeux historiques », reconnaissent les syndicats.

Un enjeu de modèle agricole ?

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs n'ont en revanche pas signé la lettre. Avant le Salon de l'agriculture, les « prix plancher » ne faisaient pas partie de leurs propositions pour améliorer les revenus agricoles. Pris de court par la promesse du président, les syndicats majoritaires, favorables à un marché ouvert, ne cessent, depuis, d'insister sur les dangers que des prix minimums deviennent des prix maximums, et qu'ils rendent les productions françaises trop peu compétitives face à celles des pays étrangers.

Lire: Agriculture : les prix planchers d'Emmanuel Macron, une proposition qui divise le monde agricole

Mais selon les autres syndicats, qui souhaiteraient bien obtenir davantage de votes aux élections des Chambres d'agriculture prévues en 2025, l'opposition de la FNSEA est aussi liée à son penchant pour un modèle d'agriculture industrielle pratiquée dans de grandes exploitations - aujourd'hui favorisées dans la distribution des aides de la Politique agricole commune (PAC) européenne - :

« Si les revenus des producteurs étaient vraiment protégés, il y aurait davantage de petits agriculteurs, moins de rachats de terres par des grandes exploitations et donc moins de grandes surfaces », résume Raymond Girardi, qui dénonce : « Pendant les 70 ans de "cogestion" de la FNSEA avec le gouvernement, l'agriculture française a perdu 2 millions de paysans ».

« Pendant que nous rédigions notre lettre au chef de l'Etat, la FNSEA, à l'issue de son congrès annuel, évoquait la nécessité d'un plan de cessation pour les agriculteurs en difficulté », remarque pour sa part la présidente de la CR,  Véronique Le Floc'h.

« D'éventuels prix plancher devraient en revanche sans doute s'accompagner d'un contrôle des importations », ajoute Raymond Girardi.

La porte fermée ?

Le Modef, la Coordination rurale et la Confédération paysanne affirment ne pas avoir reçu de réponse de la part de l'Elysée. Entre-temps, « c'est Matignon qui a repris le dossier » de l'ensemble de la crise agricole, constatent les syndicats agricoles minoritaires, en regrettant d'être exclus des tractations.

« Plusieurs rendez-vous entre Gabriel Attal et la FNSEA ont déjà été organisés, alors que nous sommes systématiquement renvoyés vers des conseillers », se plaint Raymond Girardi, en dénonçant un « travail caché ».

« Nous n'avons pas eu de réponse à notre demande de rencontre avec Gabriel Attall » affirme aussi Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne.

La porte est-elle donc définitivement fermée aux « prix plancher »?

« Emmanuel Macron s'était montré ouvert à notre proposition avant le Salon de l'agriculture et, depuis, il n'a pas fait explicitement marche arrière », ose espérer Raymond Girardi.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 25/04/2024 à 8:33
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Ah ben c'est sûr qu'avec ses 160000 balles par mois le préisden tde la FNSEA peut relever les prix planchers il ne sera pas impacté.

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