C'est une victoire impétueuse pour le ministre des Armées. Sébastien Lecornu a arraché un compromis important aux Allemands, qui s'étaient montrés jusqu'ici très réticents depuis plus d'un an à faire de la place à Nexter dans le développement des « feux » (tourelle et canon) dans le cadre du programme franco-allemand MGCS (Main Ground Combat System), selon nos informations. Pour la partie française, il n'était pas question d'abandonner des capacités industrielles chez Nexter. Côté français, c'était même une ligne rouge. D'où le blocage persistant du programme lancé depuis 2017 par Paris et Berlin. Sur plan industriel, Nexter et Rheinmetall bataillaient durement en vue d'obtenir le leadership du pilier dédiés aux « feux », un pilier jugé crucial en France pour le maintien de l'expertise de la BITD française (Base industrielle et technologique de défense).
Dernier arrivé dans ce programme en novembre 2018 à la surprise des Français, le groupe de Düsseldorf n'a eu de cesse de vouloir marginaliser Nexter dans le MGCS. Mais, à l'arrivée, il devra coopérer avec le groupe français dans le domaine des « feux » qu'il n'avait pas du tout envie de partager. Arguant que la France avait fait une concession majeure en acceptant de co-développer le moteur du futur avion de combat (New Generation Fighter) du programme SCAF par le motoriste allemand MTU et Safran, Sébastien Lecornu n'a pas lâché l'affaire face aux Allemands en tenant une ligne de négociations ferme. Et finalement vendredi matin les ministres de la Défense allemand et français ont trouvé un accord sur le MGCS sur la répartition du travail entre industriels, un point clé pour débloquer ce projet jusqu'ici miné par des intérêts divergents.
« Nous nous sommes mis d'accord sur la répartition de toutes les tâches pour ce grand projet », a déclaré vendredi le ministre allemand Boris Pistorius lors d'une conférence de presse aux côtés de son homologue français Sébastien Lecornu.
Signature fin avril
Cet accord d'engagement de la prochaine phase du programme (dite « 1A », la phase de pré-démonstrateur) sera signé par les deux ministres le 26 avril. Il prévoit notamment un partage industriel réparti de façon équitable pour les huit piliers du programme. Selon Sébastien Lecornu, cet accord est un bon accord pour l'industrie française. Comme initialement prévu, la charge sera partagée à 50/50 (développement et production) entre la France (Nexter) et l'Allemagne (Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall). Résultat, le groupe franco-allemand KNDS reste au centre du programme à travers Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et Nexter.
L'accord trouvé « établit très clairement qu'en matière de production, il y aura une répartition de 50/50 entre les industries des différentes nations », a confirmé Boris Pistorius. « C'est très clairement délimité, sans laisser de place à l'interprétation ou aux malentendus », a-t-il précisé, reconnaissant qu'il s'agissait de « négociations compliquées (...) et difficiles ».
Depuis septembre dernier, la Direction générale de l'armement (DGA) et des équipes du secrétaire d'État à la défense Benedikt Zimmer travaillaient à la définition précise des différents piliers d'une part et d'autre part sur la répartition du leadership au sein des piliers entre les différents industriels. Ce travail de la DGA a été réalisé en associant les industriels tricolores concernés, notamment Nexter mais aussi Thales, Safran, MBDA et des PME. Puis les deux ministres ont réglé vendredi matin les derniers points à traiter avec la clé un accord qui valorise en principe l'expertise des industriels des deux pays.
A l'issue de ce travail, la France et l'Allemagne ont défini huit piliers (contre initialement neuf, qui pour l'heure restent très vagues : plateforme (pilier 1), feux classiques, qui regroupe et canon (pilier 2), feux innovants qui englobe les armes à énergie dirigée (lutte anti-drone) et les missiles (pilier 3). Il y a trois autres piliers sur la partie systèmes de communications et cloud de combat (pilier 4), sur la simulation (pilier 5) et sur les capteurs (pilier 6). Enfin, les deux États ont convenu de mettre en place un pilier sur la protection des différentes plateformes et, enfin, un dernier pilier sur les infrastructures nécessaires pour accueillir ces chars. La France et l'Allemagne se partagent les piliers mais les deux pays se sont montrés extrêmement réticents à détailler cet accord sur les leaderships même si globalement l'équilibre est respecté.
Les contrats seront notifiés par le BWB (Bundesamt für Wehrtechnik und Beschaffung, l'Office fédéral allemand des techniques de l'armement et de l'approvisionnement) aux industriels d'ici à la fin de l'année. Au global, ce contrat va s'élever à plusieurs centaines de millions d'euros (entre 100 et 300 millions d'euros). En outre, le coût global n'a pas été indiqué en raison des ambitions technologiques à définir encore dans certains piliers et le nombre de plateformes. Ce qui peut avoir un fort impact sur le coût du programme. Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), la France a déjà budgété 500 millions d'euros pour le MGCS, qui est financé à parts égales entre Paris et Berlin.
KNDS crée une filiale en Ukraine Le groupe d'armement franco-allemand KNDS, qui fabrique notamment les chars Leopard et les canons Caesar, va produire des équipements militaires et des munitions sur le sol ukrainien, ont annoncé vendredi les ministres de la Défense des deux pays à l'issue d'une rencontre à Berlin. « Nous allons faire en sorte de produire ensemble en Ukraine des armes et des munitions », dont Kiev a besoin pour repousser l'invasion russe, a déclaré Boris Pistorius au cours d'une conférence de presse commune avec son homologue français Sébastien Lecornu. KNDS « va s'installer en Ukraine » en créant une filiale dont l'objectif sera dans un premier temps de « former » les Ukrainiens et de « produire rapidement des pièces de rechange, notamment pour les systèmes déjà livrés », a précisé Sébastien Lecornu, sans préciser d'échéance pour l'instant. KNDS produira ce qui sera le plus utile aux Ukrainiens. Très clairement, ce sont les pièces qui cassent très vite sur des systèmes très sollicités.
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