Tunisie : la Première ministre limogée, les discussions avec le FMI compromises ?

La cheffe de gouvernement tunisienne Najla Bouden a été limogée sans explications mardi par le président, Kais Saied. Le pays affronte depuis des mois des pénuries sporadiques de produits de base, liées à l'exigence des fournisseurs d'être payés à l'avance. Le pays nord-africain est étranglé par une dette d'environ 80% du PIB et cherche des aides étrangères. Un prêt d'un montant de 1,9 milliard de dollars du FMI reste bloqué, Kais Saied refusant de répondre aux conditions du Fonds dont la réduction des subventions publiques aux denrées de base.
La Première ministre Najla Bouden, lors de son intervention à l'université du Medef le 30 août 2022.
La Première ministre Najla Bouden, lors de son intervention à l'université du Medef le 30 août 2022. (Crédits : Reuters)

La Tunisie va-t-elle parvenir à obtenir des aides financières étrangères pour soutenir son économie ? Le pays est confronté à une véritable crise politique et économique. Le président tunisien, Kais Saied, a limogé la Première ministre Najla Bouden, mardi 1er août peu avant minuit, sans donner d'explications. Cette dernière est remplacée par un ancien haut cadre de la Banque centrale, Ahmed Hachani, auquel il a demandé de « surmonter des défis colossaux ».

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Najla Bouden avait été nommée par Kais Saied, le 11 octobre 2021, un peu plus de deux mois après que le président s'était octroyé les pleins pouvoirs le 25 juillet en limogeant son Premier ministre de l'époque et en gelant le Parlement. Depuis ce coup de force, Kais Saied dirige le pays par décrets. La Constitution qu'il a fait modifier par référendum à l'été 2022 a fortement réduit les pouvoirs du Parlement au profit d'un système ultra-présidentialiste. Une nouvelle assemblée des députés a pris ses fonctions au printemps 2023 après des élections législatives, fin 2022, boycottées par les partis d'opposition et boudées par les électeurs avec un taux de participation d'environ 10%.

Des problèmes de pénuries

La crise politique que traverse la Tunisie depuis deux ans se double de graves difficultés économiques avec une croissance poussive (environ 2%), un taux de pauvreté en hausse (4 millions de Tunisiens sur 12 millions d'habitants) et un chômage très élevé (15%). Si aucune explication officielle du limogeage de la Première ministre n'a été donnée, plusieurs médias locaux ont souligné le mécontentement du président Saied face à un certain nombre de pénuries dans le pays, en particulier de pain dans les boulangeries subventionnées par l'Etat.

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Ces derniers jours, plusieurs réunions ont ainsi eu lieu au sein du gouvernement et entre le président et des ministres autour de problèmes de pénuries. Selon des médias, le chef de l'Etat qui a récemment dit que « le pain est une ligne rouge pour les Tunisiens », redoute une réédition des émeutes du pain qui firent 150 morts en 1984 sous Habib Bourguiba.

En Tunisie, depuis les années 1970 face à une économie de bas salaires, l'Etat centralise l'achat d'un grand nombre de produits de base (farine, sucre, semoule, café, huile de cuisson) avant de les réinjecter sur le marché à des prix abordables. Le pays affronte depuis des mois des pénuries sporadiques de ces produits, liées, selon les économistes, à l'exigence des fournisseurs d'être payés à l'avance, ce que la Tunisie a beaucoup de mal à faire.

Des discussions avec le FMI déjà au point mort

Le pays nord-africain, où le poids de la fonction publique est l'un des plus élevés au monde avec 680.000 fonctionnaires et une centaine d'entreprises publiques monopolistiques, est étranglé par une dette d'environ 80% du PIB et à la recherche d'aides étrangères.

Dans ce contexte, difficile d'imaginer une poursuite des discussions avec le FMI que conteste Kais Saied en proposant « un nouveau cadre financier mondial ». Il martèle en effet son refus des « diktats » du Fonds que sont, à ses yeux, la levée des subventions sur les produits de base et la restructuration de la centaine d'entreprises publiques criblées de dettes, deux mesures proposées par le gouvernement Bouden en échange du prêt.

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Malgré un premier feu vert de Washington en octobre dernier, les négociations avec Tunis pour un nouveau crédit du FMI de 1,9 milliard de dollars piétinent depuis fin 2022. Un accord apporterait une bouffée d'oxygène à un pays dont les difficultés croissantes inquiètent Europe et Etats-Unis, et déclencherait pourtant d'autres financements étrangers.

« Les négociations sont complètement à l'arrêt, c'est Tunis qui bloque », confirme à l'AFP l'économiste Ezzedine Saidane, soulignant que Kais Saied « a vu dans ces réformes des choses qui le pénaliseraient politiquement ».

Kais Saied préfère augmenter les taxes

Le directeur du département régional du FMI, Jihad Azour, a indiqué à la mi-avril n'avoir reçu « aucune demande de Tunis pour la révision de son programme ». « Depuis, il ne se passe plus rien », confie à l'AFP une source proche du dossier. Début juin, Kais Saied avait de nouveau exclu de toucher aux subventions, annonçant à la place des taxes pour « prendre l'excédent d'argent aux riches et le donner aux pauvres ».

Plus simple à dire qu'à réaliser. Le déficit public (8% du PIB) provenait en totalité en 2022 des « compensations » étatiques, et aux deux tiers des subventions énergétiques après l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 qui a fait flamber les cours du pétrole. « Il n'y a pas grand chose qui puisse remplacer le relèvement progressif des prix à la pompe prévu par le programme du FMI », estime une source auprès de l'AFP. Une hausse des taxes est aussi déconseillée par certains économiques, la Tunisie ayant déjà la pression fiscale la plus élevée d'Afrique.

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Si la Tunisie décide de se passer du FMI, peut-elle tenir ou fera-t-elle défaut en cessant de rembourser ses dettes ? Pour 2023, le pays peut faire face à des échéances estimées à 21 milliards de dinars, dont 12 en devises (environ 4 milliards d'euros), grâce au tourisme, aux envois de la diaspora, aux exportations de phosphates et à la baisse du coût de l'énergie, selon les économistes. « Mais en l'absence d'accord, la situation va devenir de plus en plus difficile. Le risque de défaut sera très grand en 2024 et 2025 », juge Aram Belhadj, enseignant-chercheur à l'université de Carthage.

Le chef de l'Etat tunisien, lui, assure chercher des financements ailleurs. Peut-il y arriver avec l'aide des Européens et de quelques pays arabes, comme l'Arabie saoudite qui a récemment annoncé un prêt et un don pour 500 millions de dollars ? L'UE a conclu à la mi-juillet un « partenariat stratégique » avec Tunis qui prévoit le versement de 255 millions d'euros cette année dont 150 millions d'euros de contribution directe au budget.

Bruxelles pourrait aussi apporter à l'avenir une « assistance macro-financière » de 900 millions d'euros, censée être conditionnée à des réformes politiques et au respect des droits humains qui ont régressé dans le pays, selon les ONG.

(Avec AFP)

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