Inflation : les turbulences bancaires compliquent l'équation de la Fed

La Réserve fédérale doit annoncer ce mercredi sa décision sur sa politique monétaire. Si elle avait prévu de poursuivre la hausse de ses taux directeurs pour juguler l'inflation persistante, l'ébranlement du secteur bancaire provoqué par la chute de la banque californienne SVB et de Credit Suisse pourrait l'inciter à se montrer plus prudente.
Robert Jules
Jerome Powell, président de la Réserve fédérale.
Jerome Powell, président de la Réserve fédérale. (Crédits : Reuters)

Relever de 25 voire de 50 points de base les taux directeurs des fonds fédéraux ou opter pour le statu quo? C'est à cette question que vont devoir répondre mercredi les membres du comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed qui se réunissent ce mardi pour deux jours. Il y a deux semaines, lors d'une audition au Congrès, son président, Jerome Powell, avait évoqué un quart et un demi-point parmi les options sur la table, justifié par un marché du travail toujours dynamique, la hausse des dépenses des ménages et, surtout, un niveau d'inflation qui s'affichait à 6% sur un an en février.

Série noire

Mais depuis cette audition, le secteur bancaire outre Atlantique connaît une série noire qui a fait plonger les marchés financiers de toute la planète. Déclenchée le 10 mars par la faillite spectaculaire de la Silicon Valley Bank (SVB), la seizième banque du pays, suivie de la chute de deux autres établissements aux Etats-Unis, elle s'est propagée à l'Europe, avec la chute du Credit Suisse le 19 mars qui s'est soldée par son rachat par UBS une autre banque helvétique.

« Compte tenu des turbulences de marché, l'issue de la réunion du FOMC est donc plus ouverte que jamais. Il y a une dizaine de jours, on se disait que la Fed aurait à choisir entre une hausse de 25 ou 50 points de base. Après l'audition de Jerome Powell au Sénat le 7 mars, cette dernière option tenait même la corde dans les anticipations de marché. Ce n'est plus du tout le cas après la chute de SVB », constate Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo-BHF.

L'institution monétaire des Etats-Unis se retrouve aujourd'hui sur un chemin de crête bordé d'un côté par son engagement à juguler l'inflation qui pèse sur les ménages et les entreprises et de l'autre côté par l'impératif d'éviter que la crise bancaire, la plus grave depuis 2008, ne s'amplifie.

Contagion contenue

Car même si la contagion a été contenue grâce à l'intervention coordonnée des banques centrales qui a évité une crise de liquidités, le doute persiste. « L'injection de liquidités de la semaine dernière (à la fois les échanges coordonnés de la banque centrale et les 300 milliards de dollars empruntés à la Fed par les banques américaines à court de liquidités) pourrait temporairement aider le secteur bancaire. Mais ces liquidités n'iront pas à l'économie réelle. Dans le cas de l'argent emprunté, je ne prévois pas que ces réserves bancaires soient prêtées en grande partie. Je parie que les banques ralentiront au contraire le crédit », avertit William Gerlach, analyste chez iBanFirst.

La banque Goldman Sachs a même calculé que le durcissement des conditions de prêt en raison du stress de l'industrie serait équivalent à une hausse d'un quart ou d'un demi-point du taux de référence de la Fed. Un argument en faveur du statu quo mercredi.

La cause des difficultés du secteur bancaire provient en effet de la remontée rapide et continue des taux directeurs depuis 2022. Elle dévalorise mécaniquement la valeur de marché des actifs de nombre de banques investies en titres obligataires souverains, d'entreprise ou encore en crédits hypothécaires, d'autant plus si ce risque n'est pas couvert comme en témoigne la mésaventure de SVB.

« Les problèmes du secteur bancaire illustrent la façon dont l'économie réelle réagit au cycle de resserrement monétaire de la Fed. Le risque est que le resserrement des conditions financières et la diminution des liquidités qui en résulte amplifient des vulnérabilités non encore identifiées sur d'autres marchés », juge Stéphane Monier, CIO de Lombard Odier.

Le doute est en effet le poison qui s'insinue dans l'ensemble du secteur et menace l'ensemble de l'activité économique, en particulier aux Etats-Unis. « Si la Fed n'endigue pas l'effondrement des banques régionales, le problème pourrait être bien plus profond. Les petites et moyennes banques représentent 50 % des prêts commerciaux et industriels aux États-Unis, 60 % des prêts immobiliers résidentiels, 80 % des prêts immobiliers commerciaux et 45 % des prêts à la consommation », rappelle John Plassard, directeur chez Mirabaud Equity Research.

Relâcher la pression et temporiser

Les membres du comité de la Fed ont ces données en tête. Elles pourraient les pousser à relâcher la pression et à temporiser. « La Fed va-t-elle ouvrir le bal d'une accalmie sur le front des hausses de taux ? Rien n'est moins sûr. L'exercice sera en tout cas délicat. L'institution devra, en effet, jongler entre une inflation toujours élevée, avec +0,5% en février en rythme mensuel pour le CPI core [hors prix de l'énergie et de l'alimentaire], et la menace d'une éventuelle contagion financière », considère pour sa part Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire chez Auris Gestion.

Le choix est d'autant plus difficile que la lutte contre l'inflation a déjà fragilisé une partie du secteur bancaire. « Aux États-Unis, les banques représentent environ 40 % du crédit privé. Et pour les PME, dont l'empreinte macroéconomique est particulièrement importante, le resserrement des banques est un problème majeur. S'il est trop tôt pour annoncer une récession aux États-Unis, le risque s'est considérablement intensifié au cours des derniers jours », avertit William Gerlach.

Pour autant, marquer une pause représente-t-il un risque majeur dans le contexte actuel? « Une hausse de 25 points de base peut être un choix de compromis. Pour la suite, toutes les options restent ouvertes. Après tout, l'inflation n'est ni moins élevée ni moins persistante aujourd'hui qu'il y a une semaine », remarque Bruno Cavalier.

Un relèvement de 25 points de base permet en effet de tenir les deux bouts de l'équation: ne pas donner l'impression que la lutte contre l'inflation passe au second plan tout en se donnant un répit pour voir comment la situation va évoluer, au moins jusqu'à la prochaine réunion. Car l'économie reste robuste aux Etats-Unis, comme en témoigne le marché du travail. Le taux de chômage s'est affiché à 3,6% en février, en hausse par rapport au janvier où, à 3,4%, il était au plus bas depuis 50 ans.

La BCE s'en est tenue à l'agenda prévu

Pour sa part, la semaine dernière, la BCE s'en est tenue à l'agenda prévu en remontant de 50 points de base ses taux directeurs, une décision justifiée par sa présidente, Christine Lagarde, par la nécessité de garder le cap dans la lutte contre l'inflation. En revanche, elle s'est bien gardée de prendre un engagement pour la prochaine réunion.

La Fed n'avait pas pris d'engagement lors de sa dernière réunion, se voulant pragmatique, et prudente en raison des événements qui sont venus compliquer ses prévisions. Hier, la guerre en Ukraine, qui se poursuit, aujourd'hui, la crise bancaire.

« Je pense que la Fed relèvera ses taux de 25 points de base, tout en indiquant qu'elle est prête à soutenir le système bancaire si nécessaire. La Fed reste très préoccupée par les perspectives d'inflation et essaiera donc de démontrer qu'elle est capable de contenir les risques de stabilité financière avec une série d'outils, tout en combattant l'inflation avec une autre », abonde également Luke Bartholomew, économiste chez abrdn.

Pour Jerome Powell, il faudra surtout prouver mercredi lors de sa conférence de presse qu'il dispose de la boussole qui lui indique la bonne direction pour sortir du brouillard d'incertitudes dans lequel est plongé aujourd'hui le secteur bancaire et financier.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 22/03/2023 à 10:31
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Il serait temps de gérer le bazar, lorsque tout va bien personne ne parle des super profits par contre par temps de misère le petit peuple doit mettre la main à la poche.. Pire, c'est vieux comme le monde...

le 22/03/2023 à 12:26
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vous voyer bien il n'y a aucune morale chez les banquiers et qui peut leur faire confiance dans d'autre cas la monnaie du pays serais en chute libre et rien et aucune repression du cote occidentale a croire que les fond sont dispersé dans les pa...

à écrit le 22/03/2023 à 9:06
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Le cartel démocrate prêt à faire chauffer un max les imprimantes de la Fed dans le but de protéger les dépôts des entrepreneurs millionnaires de la silicon valley qui ont activement spéculé sur les crypto-jetons (cf. rebond du BTC post-renflouemen...

à écrit le 21/03/2023 à 21:26
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Si les banques centrales cèdent au bruit causé par l'errance, certains diraient la témérité, de certaines banques, et sacrifient le combat contre l'inflation alors quels signaux seront reçus par les autres joueurs et pour quels effets ? Le systèm...

à écrit le 21/03/2023 à 20:45
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Les années confinement, 2020-2021, où la Fed a mis la poussière sous le tapis. Maintenant, ils ne savent plus quoi faire. Il fallait y réfléchir avant

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