Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, arrive ce soir en France, dans le cadre d'une visite officielle de deux jours. Pour son hôte, Emmanuel Macron, l'enjeu est crucial. Au-delà de la célébration des 60 ans des relations entre les deux pays et la signature de contrats, c'est de l'avenir de l'Union européenne qu'il s'agit. « Sur le plan économique, le modèle qui est le nôtre n'est plus tenable », a dramatisé le président français lors de son discours sur l'Europe prononcé à la Sorbonne le 25 avril, appelant à « revoir notre modèle de croissance face à deux puissances mondiales [les États-Unis et la Chine] qui ont décidé de ne plus respecter les règles du commerce ».
Depuis la dernière visite de Xi Jinping dans l'Hexagone, en 2019, le monde a considérablement changé. Les tensions géopolitiques et les crises commerciales entre Pékin et Washington se sont accrues. La perturbation des chaînes d'approvisionnement due à la pandémie de Covid-19 et la montée de l'inflation, la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie ont mis un coup d'arrêt à la mondialisation. Le fonctionnement des relations internationales (lire ci-dessous) et les règles commerciales de l'OMC sont remis en question.
Bruxelles n'hésite pas à subventionner les entreprises
« Pour Emmanuel Macron, ce sera un test ; c'est l'occasion pour lui de passer du discours aux actes face à la Chine », estime David Baverez, investisseur établi à Hong Kong depuis 2011 et essayiste qui publie mardi Bienvenue en économie de guerre ! (Novice). Afin de peser face aux deux géants mondiaux, la prise de conscience ne suffit pas, il faut concrètement changer de paradigme. Ce que l'économiste Benjamin Bürbaumer, maître de conférences à Sciences-Po Bordeaux, précise ainsi : « Les États-Unis et la Chine mènent depuis longtemps une politique interventionniste qui leur permet d'orienter leur développement technologique et qui impacte ensuite le développement économique, alors que l'UE, au contraire, se base naïvement sur le seul mécanisme du marché pour coordonner le fonctionnement des économies des pays membres. »
Certes, depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, Bruxelles a pris conscience du problème. Elle n'hésite pas à subventionner les entreprises, comme l'atteste l'approbation du plan vert européen NextGenerationEU d'un montant de 800 milliards d'euros (pour la période 2021-2027), sous forme de subventions et de prêts garantis. Une réponse à l'Inflation Reduction Act (IRA), le plan lancé par le président Joe Biden aux États-Unis, doté de 400 milliards de dollars de subventions et crédits d'impôts aux entreprises et aux ménages qui vise à accélérer la conversion de l'économie aux énergies bas carbone. « En Europe, les subventions publiques allouées aux entreprises privées sont d'ailleurs en forte augmentation, constate Benjamin Bürbaumer, auteur de Chine/ États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte), mais à la différence de la Chine et des États-Unis les entreprises européennes subventionnées sont sous-performantes. »
L'UE a même relancé sur son sol la production minière - que la Chine domine à l'échelle mondiale -, notamment de lithium, pour réduire sa dépendance aux importations de métaux stratégiques, fixant l'approvisionnement local à 10 % des besoins. Elle ambitionne aussi de financer l'innovation, un point sur lequel Emmanuel Macron a insisté à la Sorbonne. C'est d'autant plus urgent que la part des brevets triadiques (qui protègent une même invention dans plusieurs pays) déposés par les pays de l'UE est passée d'un tiers dans les années 1980 à 19 % aujourd'hui. Mais le temps joue contre le Vieux Continent face aux deux premières puissances économiques. « En Europe, on oublie que l'entente entre les deux pays, la "Chinamerica", repose sur 700 milliards de dollars d'échanges commerciaux », rappelle David Baverez.
Les règles du jeu doivent changer
Aujourd'hui, l'Europe se voit même attaquée sur ses propres marchés - voiture électrique, éolien, photovoltaïque - par la Chine, qui a pris des longueurs d'avance notamment en subventionnant massivement ces activités, à tel point qu'il y a des surcapacités. « Le marché chinois n'absorbe que 25 millions de voitures pour une capacité de production de 50 millions, explique David Baverez. Les constructeurs ont aujourd'hui un stock équivalent à neuf mois de production. Le marché domestique va être saturé très prochainement, le seul endroit où l'écouler est l'Europe. Nous sommes théoriquement en position de force pour imposer des taxes à l'import de véhicules électriques. »
C'est ce que devrait expliquer Emmanuel Macron à Xi Jinping. Les règles du jeu doivent changer. Pékin redoute d'ailleurs les enquêtes lancées pour soupçon de concurrence déloyale sur les produits chinois dans le domaine des véhicules électriques, de l'éolien, du solaire, etc., qui pourraient se traduire par une majoration des droits de douane comme le font les États-Unis. Les pays membres de l'UE étudient également une taxe carbone à leurs frontières sur les produits importés qui ne sont pas fabriqués selon les normes environnementales exigées aux entreprises européennes. En rétorsion, la Chine a d'ores et déjà menacé de taxer certains produits, notamment français, du secteur alcools et spiritueux comme le cognac.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, participera d'ailleurs à la rencontre avec le leader chinois lundi. Pour éviter également la cacophonie européenne, Emmanuel Macron a dîné jeudi soir avec le chancelier Olaf Scholz afin d'aligner leurs positions. À la différence de la France, l'économie allemande est très dépendante de la Chine, quatrième destination de ses exportations et première provenance de ses importations, accusant une balance commerciale fortement déficitaire. Car l'une des conditions pour peser face à l'ogre chinois est de parler fermement d'une seule voix européenne.