[Article publié le lundi 6 mai 2024 à 7h30, mis à jour à 16h51] C'est à Paris, dans le cadre de la célébration des 60 ans de relations diplomatiques entre la Chine et la France, que le président chinois fait son retour sur le continent européen, après sa dernière visite en 2019. Xi Jinping a été accueilli dimanche par le Premier ministre Gabriel Attal, puis reçu ce lundi matin à l'Élysée par Emmanuel Macron.
« La situation internationale, très clairement, nécessite plus que jamais ce dialogue euro-chinois », a affirmé le président français à l'ouverture des échanges.
Pour la première entrevue avec son homologue chinois ce lundi matin, Emmanuel Macron a été accompagné de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour évoquer les nombreux différends commerciaux entre l'Union européenne (UE) et la Chine. Une entrevue commune afin d'afficher, comme il y a cinq ans et l'an dernier en Chine, un front continental uni sur ces questions.
Front commun de la France et de l'UE, ou presque
Le président Macron a expliqué vouloir soulever « en toute amitié et confiance » les « préoccupations, pour essayer de les surmonter », mettant en garde contre « une logique de découplage qui serait néfaste » sur le plan économique, et prônant « des règles équitables pour tous ».
La patronne de l'exécutif de Bruxelles a aussi demandé un « égal accès aux marchés ». Avant la rencontre, elle avait insisté sur le fait que l'Europe ne pouvait « pas accepter » le « commerce déloyal » causé par l'afflux de véhicules électriques ou d'acier chinois fabriqués grâce à des « subventions massives ».
L'UE « n'hésitera pas à prendre des décisions fermes » si nécessaire pour « protéger son économie et sa sécurité », a prévenu Ursula Von der Leyen devant des journalistes, à l'issue de la rencontre.
Les différends commerciaux sont nombreux et pourraient déboucher sur des hausses des taxes douanières. Menacée d'être prise en tenailles entre les économies américaine et chinoise, massivement aidées par la puissance publique, l'UE a multiplié ces derniers mois les enquêtes sur les subventions étatiques chinoises à plusieurs secteurs industriels, notamment aux véhicules électriques. Si bien que les relations entre Pékin et Bruxelles se sont sensiblement tendues.
Mais le président français a reconnu, dans un entretien à La Tribune Dimanche, que les Européens n'étaient « pas unanimes » sur leur stratégie. Une pique à peine voilée à l'égard de l'Allemagne, souvent accusée de faire cavalier seul pour préserver ses exportations de voitures vers la deuxième puissance économique mondiale.
La Chine se défend : il n'y a pas de « surcapacité » chinoise
Face à eux, Xi Jinping n'est pas rentré dans le dur des sujets en présence des caméras, plaidant seulement pour que la Chine et l'UE renforcent leur « coordination stratégique » et demeurent « des partenaires ».
Un communiqué de la diplomatie chinoise publié par la suite indique toutefois que le numéro un de la superpuissance asiatique a expliqué à Emmanuel Macron et à Ursula von der Leyen que « le soi-disant "problème de la surcapacité de la Chine" n'existe pas, que ce soit du point de vue de l'avantage comparatif ou à la lumière de la demande mondiale ». Selon le texte, « l'industrie chinoise des nouvelles énergies » a au contraire des intérêt puisqu'elle permet « d'accroître l'offre mondiale et d'atténuer la pression de l'inflation mondiale ».
À Pékin en tout cas, les mesures européennes sont jugées « protectionnistes ». Et les autorités chinoises ont lancé leur riposte : leur propre enquête antisubventions visant essentiellement le cognac français, contre laquelle le président français compte s'élever.
Avancer pour la paix en Ukraine
Après un accueil protocolaire en grande pompe en début d'après-midi aux Invalides, le duo franco-chinois aura un tête-à-tête plus politique suivi de déclarations à la presse et d'un banquet à l'Elysée. Emmanuel Macron compte profiter de ce moment pour demander à Xi Jinping de soutenir la « trêve olympique » à l'occasion des Jeux de Paris cet été. La « coordination » avec Pékin sur les « crises majeures » en Ukraine et au Moyen-Orient est « absolument décisive », a-t-il martelé ce lundi.
Le chef de l'État français, tout comme la présidente de la Commission européenne, veut a minima s'assurer que la Chine, principale alliée du président russe Vladimir Poutine, ne bascule pas dans un soutien clair à son effort de guerre face à l'Ukraine. L'UE et la France comptent ainsi sur la Chine pour « user de toute son influence sur la Russie » pour faire cesser le conflit, a déclaré Ursula von der Leyen. Avec Emmanuel Macron, elle a également appelé le président chinois à faire « plus d'efforts pour limiter la livraison à la Russie d'équipements duals (ndlr : pouvant être utilisés à des fins civiles et militaires) qui se retrouvent sur le champ de bataille » en Ukraine. Elle s'est en outre dite « confiante » sur le fait que Pékin continuerait à tempérer les menaces nucléaires russes, alors que Moscou vient d'ordonner la tenue prochaine d'exercices nucléaires.
Xi Jinping a tenu des propos rassurant à ce sujet. Souhaitant le retour de « la paix et la stabilité » en Europe, il a assuré dans une tribune publiée dans Le Figaro vouloir « œuvrer avec la France et toute la communauté internationale à trouver de bonnes pistes pour résoudre la crise » en Ukraine. Pour autant, il continue d'afficher son soutien à la Russie, et se rendra après la France en Serbie et en Hongrie, deux pays restés proches de Moscou, avant de recevoir probablement le président Poutine en Chine.
Une visite dans les Pyrénées pour un dialogue plus direct
Le président français enfoncera le clou ensuite ce mardi, dans les Pyrénées, à l'occasion d'une escapade plus personnelle entre les deux hommes, accompagnés de leurs épouses. Les deux couples présidentiels et leurs interprètes dégusteront des mets et vins locaux. L'objectif de cette rencontre sur le col du Tourmalet, là où, enfant, le chef de l'Etat a passé ses vacances chez sa grand-mère, est éminemment diplomatique : casser l'imposant protocole pour instaurer un dialogue plus direct, notamment sur l'Ukraine.
Sur la question sensible des droits humains, Emmanuel Macron a dit préférer évoquer « les désaccords » plutôt « derrière des portes closes ». Ce dimanche à Paris, plusieurs milliers de Tibétains, selon leurs représentants, ont ainsi manifesté contre la venue du président chinois, en France, « pays des droits de l'homme » qui accueille « un dictateur ».
Un terme repris également par Raphaël Glucksmann, le candidat des socialistes aux élections européennes de juin, qui a ce lundi reproché au président français de « dérouler le tapis rouge » de façon « obséquieuse » à un « dictateur ». Il a ainsi appelé le chef de l'État à « être ferme » et à « ne pas se taire face aux crimes commis là-bas ou aux attaques menées ici, d'assumer les rapports de forces », dans une tribune parue dans le journal Le Monde, faisant référence à « l'esclavage des Ouïghours » dont il est un fervent défenseur. Pour rappel, depuis 2017, plus d'un million de Ouïghours ou de membres d'autres groupes ethniques, principalement musulmans, ont été internés en Chine dans des « camps » de « rééducation » où les violations de droits de l'Homme sont nombreuses, selon des études et des ONG occidentales.
(Avec AFP)