Il est moins connu du grand public que son prédécesseur, mais ses compétences sont largement plébiscitées par ses pairs de la Silicon Valley. Après une séquence médiatique tonitruante, Emmett Shear, 40 ans, a été nommé PDG d'OpenAI, à la place du très médiatique Sam Altman... pour être finalement débarqué ce mercredi matin.
Originaire de Seattle aux Etats-Unis, l'ingénieur formé à la prestigieuse université de Yale a comme ligne de CV la plus visible la co-création de Twitch en 2011, plateforme de streaming à succès. L'ancienne startup a été rachetée en 2014 par Amazon pour 970 millions de dollars, le géant de la tech ayant saisi son potentiel en matière d'e-commerce. Un échec pour YouTube (propriété de Google) qui lorgnait sur ce rachat.
Twitch, son fait d'armes le plus célèbre
Emmett Shear a assuré la direction de Twitch jusqu'en mars dernier avant d'en laisser les rênes, pour officiellement consacrer davantage de temps à sa famille. Sous sa direction, le chiffre d'affaires de Twitch a connu une croissance continue, atteignant l'année dernière 2,8 milliards de dollars (en 2016, il était de 275 millions). Selon le New York Times, la plateforme revendique aujourd'hui 31 millions de spectateurs chaque jour et plus de sept millions de streamers chaque mois.
« Emette Shear est le papa streaming sur le web, c'est un précurseur. Avant tous les géants des réseaux sociaux, il a compris le potentiel de l'expérience digitale interactive en temps réel et la puissance des communautés. Le succès de Twitch, c'est d'arriver à générer de la croissance avec ces deux piliers », explique Diego Ferri, directeur de la stratégie au cabinet de conseil EY/Fabernovel.
« Evangéliste de la tech »
« Grand évangéliste de la tech », selon le cadre d'EY/Fabernovel, Emmett prend très tôt goût pour l'entrepreneuriat. Il se manifeste dès 2005 avec le lancement de Kiko Calendar, une solution de calendrier en ligne, revendue sur eBay pour 250.000 dollars, suite à l'arrivée de Google Calendar. À cette époque, Emmett Shear fait équipe avec Justin Kan, son ami d'enfance et futur associé. Les deux jeunes entrepreneurs sont à l'époque membre d'Y Combinator, l'un des incubateurs les plus célèbres de la Silicon Valley. La structure a vu notamment naître les entreprises à succès Reddit, Airbnb ou encore Dropbox. Le désormais ex-patron d'OpenAI Sam Altman y est d'ailleurs aussi passé.
En 2007, Emmett Shear co-lance Justin.tv, qui propose aux utilisateurs d'ouvrir un canal vidéo en direct. Parmi toutes les sections du flux, celle des jeux vidéo devient la plus populaire. A tel point qu'il est finalement décidé de ne garder qu'elle en 2011. La plateforme Twitch que l'on connaît aujourd'hui était née.
Communication de crise
Connu pour être de nature posée, qualité moins citée chez Sam Altman, Emmett Shear n'est pas moins ambitieux. « J'ai accepté ce poste parce que je crois qu'OpenAI est l'une des entreprises les plus importantes qui soient actuellement », avait-t-il d'ailleurs écrit dans un message publié ce lundi sur la plateforme X (ex-Twitter). Sa décision de rejoindre l'entreprise mère de ChatGPT, avait été, selon ses mots, « prise en quelques heures », et représente « l'opportunité d'une vie ».
Le débarquement vendredi dernier de Sam Altman, considéré par beaucoup comme une « superstar de l'IA », a provoqué un séisme au sein de la Silicon Valley. Fin connaisseur du monde bouillonnant de la tech américaine, Emmett Shear a su se montrer agile en communication de crise. « Il est clair que le processus et la communication autour du retrait de Sam ont été très mal gérés, ce qui a gravement entamé la confiance dans OpenAI », a-t-il ainsi écrit sur X.
L'entrepreneur avait d'ailleurs promis dans les 30 prochains jours un audit indépendant sur les raisons du départ d'Altman, et s'était dit prêt à « réformer l'équipe de direction (...) pour en faire une force capable d'obtenir des résultats pour nos clients ». D'un ton plus ferme, il avait poursuivi son message en assurant qu'il « conduirait des évolutions au sein de l'organisation - jusqu'à pousser fortement à des changements significatifs de gouvernance si nécessaire ».
Un profil plus business que Sam Altman
Emmett Shear était sur une forme de siège éjectable au vu de la fronde suscitée chez les salariés d'OpenAI par le licenciement de leur patron. Mais à en croire l'expertise de Diego Ferri, directeur chez EY/Fabernovel, ses qualités connues de manager étaient censées pousser le vent en sa faveur : « Face à une concurrence de plus en plus rude sur l'IA et vu l'argent colossal investi, je pense que le conseil d'administration d'OpenAI recherchait un profil business et très compétent sur la gestion d'entreprise. Emmett Shear sait aussi travailler avec des objectifs de croissance exigeant, ce qu'il a montré avec Amazon. »
D'après le cadre en conseil, le nouveau PDG d'OpenAI est aussi connu pour « sa capacité à anticiper les tendances de marché et pivoter », ce qui en matière d'IA, une technologie qui évolue très vite, est un vrai atout. Son manque de notoriété, à contrario de Sam Altman, était-il un handicap pour incarner la boîte d'IA la plus prometteuse du secteur ? « Je pense que cela aurait été un atout pour parler aux instances publiques, et notamment les régulateurs du secteur de la tech », répond Diego Ferri, qui évoque sur le sujet le profil du PDG d'Apple Tim Cook, aussi discret que performant.
Pas assez capé en IA ?
Quand bien même, un reproche revenait souvent depuis la nomination d'Emmett Shear : il n'était pas connu pour être un expert en intelligence artificielle, qualité que possède Sam Altman, plus axé sur la recherche. De quoi susciter des interrogations sur sa capacité à générer de nouvelles innovations chez OpenAI.
« C'est vrai qu'il n'a pas des compétences pointues en matière d'IA. Mais il est très sensible à l'éthique et la transparence du secteur. C'est un enjeu clef pour son avenir et l'acceptabilité par le grand public », commente Diego Ferri.
En juin dernier, lors d'une interview pour un podcast américain, Emmett Shear avait d'ailleurs mis en garde contre la création d'une IA incontrôlable par l'homme. « Une bombe qui détruirait l'univers », selon le patron.
Pas (encore) de scandale sur le dos
Dernier fait, à date, qui aurait pu l'aider dans sa prise de poste : il n'a pas de scandales sur le dos, notamment vis-à-vis de son management à la tête de Twitch. L'entrepreneur serait même connu pour être assez volontaire sur les sujets d'inclusivité. Mais de nombreux observateurs font néanmoins remarquer le licenciement en novembre dernier de 400 salariés de la plateforme de Twitch, soit 16% des effectifs. Ce, sur fond de grogne des utilisateurs de la plateforme, qui estiment avoir moins de liberté qu'avant. Business as usual en Silicon Valley ?
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