C'était attendu, c'est arrivé. Ce jeudi midi, la Banque centrale européenne a acté une augmentation de ses taux directeurs de 0,75%. Pour casser l'inflation (et ne plus être taxée d'attentisme), l'institution de Francfort a donc eu la main lourde. La conjoncture économique n'en sortira pas indemne. En première ligne, les particuliers et les entreprises qui souscrivent des prêts à courte-échéance pour se financer.
« La BCE a agi sur ses trois taux directeurs à court terme. Cela se répercute d'abord sur les taux des crédits que souscrivent les ménages et les entreprises », rappelle l'économiste Eric Dor, professeur à l'IESEG. Quid des conditions d'emprunts des États ? Ils ne sont évidemment pas épargnés dans un contexte financier qui se durcit.
Léger impact à court-terme
« Une hausse des taux directeurs ne peut avoir qu'un effet à la hausse sur les taux souverains (ndlr : taux d'intérêts auxquels les Etats empruntent sur les marchés financiers). Déjà parce qu'une partie des obligations d'Etat ont une échéance à court terme, même si ce n'est qu'une petite portion de l'ensemble de la dette », poursuit François Ecalle, ancien haut fonctionnaire à la Cour des comptes et fin connaisseur des finances publiques.
L'essentiel des titres de dettes publiques ont une échéance assez longue, au moins plusieurs années. L'obligation de référence arrive à maturité à 10 ans. Ce taux souverain à 10 ans est scruté comme l'indicateur clé de la confiance qu'ont les marchés dans la solvabilité d'un pays. « L'effet d'une hausse des taux sur la charge de la dette est progressif car il ne se manifeste que quand les emprunts arrivent à échéance. Mais cela aboutit à alourdir la charge de la dette », précise François Ecalle. En tout logique, une augmentation du taux à 10 ans ne se fait sentir qu'au moment où le Trésor rembourse ses créanciers... au bout de 10 ans. L'ardoise peut alors être lourde.
Lourde ardoise à long-terme
François Ecalle souligne que +1% sur le taux souverain français à 10 ans coûte environ 40 milliards d'euros à la puissance publique, Etat et collectivités confondues. Cela représente le budget annuel des Armées. Pour cette seule année 2022, le paiement des intérêts de la dette a aussi gonflé de 17 milliards supplémentaires, en raison de l'indexation d'une partie des intérêts de la dette sur l'inflation.
Rien ne dit toutefois que le taux souverain français va flamber dans de telles proportions. Pour l'instant, malgré l'annonce de la BCE , l'OAT français à 10 ans s'appréciait légèrement tout en restant autour de son niveau de cet été proche de 2%. En effet, ce taux ne dépend pas de la seule politique monétaire de la Banque centrale mais d'une multitude de facteurs, tenant autant des statistiques économiques que de la crédibilité politique du pays. A ce titre, la perception de la France demeure positive.
« En dépit d'un volume de dette très élevé, la France jouit encore d'une forte crédibilité sur les marchés financiers qui ne croient pas du tout à un défaut tricolore. Son gouvernement est stable et elle possède la deuxième économie de la zone euro », résume l'économiste Eric Dor.
Parmi les critères qui décident du montant d'intérêts exigés par les créanciers aux Etats débiteurs, une nouvelle donne est à prendre en compte. La politique de rachat de titres de dettes publiques par la BCE a cessé. En théorie, cette injection massive de liquidités dans l'économie (et de soutien aux dettes souveraines de la zone euro) s'est arrêtée en mars. « Pour les Etats, c'est le vrai tournant dans la politique de la BCE, bien plus que la hausse des taux directeurs. L'intervention de la BCE qui achetait de la dette italienne ou française, notamment pendant la pandémie, a eu pour effet d'apaiser les tensions sur ces taux souverains puisque cela rassure les investisseurs », avertit François Ecalle.
Risque de fragmentation de la zone euro
La dette française, massive comme celles de ses voisins méditerranéens, se trouve-t-elle livrée à elle-même ? Pas encore. Le contexte économique dégradé fait de tensions inflationnistes, de ralentissement de la croissance et de hausses consécutives du coût de l'argent rend la dette d'Etats comme la France vulnérable. Inquiets de la conjoncture, les marchés financiers sont susceptibles d'exiger brutalement des intérêts bien plus élevés pour prêter.
Certes, la dette française est moins fragile que l'Italienne ou l'Espagnole. Mais elle l'est plus que l'Allemande ou la Néerlandaise. Ces différences de statuts aux yeux des marchés financiers entraînent une divergence des conditions d'emprunts : ainsi le taux souverain italien grimpe plus vite que celui de la France ou de l'Allemagne, parfois de manière injustifiée. Tel est le phénomène de fragmentation des dettes souveraines, qui conduit in fine à faire diverger les économies de la zone euro. Et à fissurer son unité.
Seul pompier capable d'étendre ce début d'incendie, déjà perceptible en juin, la BCE a présenté en juillet un outil anti-fragmentation. Il s'agit de la possibilité de racheter de la dette souveraine, mais sous certaines conditions d'efforts budgétaires de la part des Etats qui en bénéficieront. Seulement en cas d'urgence, c'est-à-dire d'explosion du taux souverain de pays fragiles qui pourraient faire imploser l'union économique et monétaire. Comprendre : une arme de dissuasion. Comme les autres économies qui tanguent en Europe, la France profite encore de ce parapluie pour emprunter à des taux cléments.
Le parapluie de la BCE
Toujours est-il que s'endetter coûte de plus en plus cher. De quoi faire craindre un emballement de la dette français qui atteint déjà 114,5% du PIB à la fin du premier trimestre 2022, contre moins de 100% avant la pandémie. « On ne sait pas à partir de quel niveau la dette inquiète les marchés et fait monter les taux souverains. Mais le plus important, c'est de montrer que la dette est sous contrôle, que l'Etat est en situation de la stabiliser », pointe l'ancien collaborateur de la Cour des comptes François Ecalle.
Obnubilé par le pouvoir d'achat et la crise énergétique, l'exécutif ne semble pas se préoccuper outre mesure du changement d'environnement financier. Le retour en dessous des 3% de déficit n'est pas prévu avant... 2027. Et encore, la Cour des comptes juge optimiste le scénario du gouvernement.