Ce 4 avril est jour d'inauguration sur la zone industrialo-portuaire du Havre. Une petite centaine de personnes assiste au couper de ruban d'un équipement de belle taille sur le parc du Hode, en bordure de l'autoroute, de la voie ferrée et du canal maritime. Dans le rôle de la puissance invitante, le géant américain Prologis. Le leader mondial de l'immobilier logistique présente à l'auditoire le nouvel entrepôt XXL qu'il loue en totalité au logisticien normand XP Log.
Le bâtiment dénommé DC8 affiche fièrement sa certification Breeam, niveau « very good ». Le nec plus ultra de la performance environnementale. Bornes de recharge, végétalisation des abords, production d'eau chaude solaire, recyclage des eaux usées... Tout ou presque y est mais on a beau scruter : ses 30.000 m2 de toiture (trois fois la surface d'un terrain de foot professionnel) restent vierges de tout panneau photovoltaïque. Tout juste nous indique-t-on que la structure porteuse est prête à en recevoir « en deuxième phase ».
« Plus de temps et d'énergie qu'ailleurs »
Le DC8 est loin d'être une exception. Malgré son potentiel « électrogène » et son caractère consensuel, la solarisation des entrepôts tarde à se démocratiser en France. En 2021, le secteur de l'immobilier logistique avait pourtant signé une charte avec le gouvernement dans lequel il s'engageait à couvrir au moins la moitié des toits neufs, rappellent les députés Sandra Marsaud (Renaissance - Charentes) et Charles Fournier (Nupes - Indre et Loire) dans un rapport(*) paru en décembre dernier. Trois ans plus tard, la promesse a du plomb dans l'aile, constatent les parlementaires. « Les toitures visitées sont loin d'avoir été systématiquement solarisées », indiquent-ils.
Prologis en est un bon exemple. Propriétaire de 3,3 millions de mètres carrés d'entrepôts dans l'Hexagone, l'américain a solarisé moins de 20% de son parc. Beaucoup moins que dans le reste du monde où le ratio revendiqué par le groupe bondit à 60%. Alors pourquoi une telle différence ? « Nous n'avons pas mis la France en priorité parce cela demande plus de temps et d'énergie qu'ailleurs en raison de freins règlementaires, financiers et économiques », justifie Cécile Tricault, responsable de la division Europe du Sud. L'intéressée incrimine notamment l'impossibilité pour les propriétaires d'entrepôts de revendre librement l'électricité. « Autoriser la vente libre stimulerait nos investissements », plaide t-elle. Une demande partagée par le tandem Marsaud/Fournier qui explique y être favorable.
Débrider l'autoconsommation
Autre barrière à la solarisation, la difficulté pour les promoteurs de rentabiliser les installations photovoltaïques -à plus forte raison sur les entrepôts anciens dont les structures doivent souvent être consolidées à coup de milliers d'euros pour pouvoir supporter les panneaux. L'investissement est rarement payant, pour Xavier Nass, directeur général de la société JPEE, un producteur indépendant d'énergies renouvelables installé à Caen. « Injectée dans le réseau, l'électricité produite sur les toitures est deux fois plus chère que celle des centrales au sol, souligne-t-il. Elle ne devient rentable que si elle est autoconsommée. Encore faut-il que le bâtiment en ait l'usage ce qui est rarement le cas dans la logistique ».
Distribuer les électrons à d'autres, des industriels énergivores par exemple, au sein d'une boucle locale permettrait de lever ce verrou. Mais là encore, la réglementation bride les initiatives. Aujourd'hui, cette possibilité n'est permise que dans un rayon de deux kilomètres (jusqu'à 20 en zone rurale) pour une puissance maximale de 3 MW. Trop peu aux yeux de l'interprofession de la logistique, Afilog, qui réclame un assouplissement, voire une suppression pure et simple, de de ce critère géographique.
La prudence des assureurs
Reste enfin la question assurantielle, épineuse. « En raison d'un risque d'incendie plus élevé et de la difficulté des pompiers à intervenir sur des feux électriques, de nombreux assureurs refusent d'assurer les structures », observent les députés Marsaud et Fournier. Conscient de ses blocages, l'Afilog a invité un professionnel de l'assurance à rejoindre ses rangs. Claude Noël, président pour la France du courtier britannique Howden, se fait fort de conseiller les acteurs de l'immobilier logistique.
« Il est vrai qu'il y a eu, par le passé, une sinistralité très forte des panneaux photovoltaïques, reconnaît-il. Pour autant, aujourd'hui le marché s'est assaini et nous modélisons mieux les risques ». L'intéressé estime que les compagnies n'ont plus « d'objections majeures » mais qu'elles continuent néanmoins d'adopter « une approche au cas par cas ». « Nous sommes en train de lever les obstacles techniques et d'élaborer un catalogue de mesures facilitantes », promet-il en conclusion.
Ce serait souhaitable. Pour rappel, la loi d'accélération sur les énergies renouvelables exige un taux de couverture solaire minimal de 40% en 2026 pour tous les entrepôts et hangars de plus de 500 mètres carrés neufs ou « lourdement rénovés ». Le taux passera à 50% en 2027 puis s'appliquera à tous les bâtiments « neufs ou existants » l'année suivante. La France comptant quelque 90 millions de mètres carrés de surfaces d'entreposage, autant dire que la marche est haute.
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(*) Rapport d'information sur les incidences des grands entrepôts logistiques https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b1990_rapport-information#_Toc256000083
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